samedi, avril 20 2024

Le Coran renvoie souvent au messager. Mahomet est un modèle humain, accessible, qui a certes la fonction de transmettre la révélation coranique, mais aussi d’éduquer ses disciples, de leur enseigner le Livre et de les ouvrir à la voie vers la sagesse[1].

À ce titre, Mahomet est messager en même temps que message incarné. Il n’est pas qu’un simple facteur qui vient livrer un courrier de la part de Dieu en laissant les musulmans se débrouiller avec. C’est précisément grâce au Prophète qu’on a compris que, dans le Coran, tout n’est pas obligatoirement applicable. C’est le cas, par exemple, du plus long verset du Coran[2] qui stipule que dans une transaction d’emprunt la présence de deux témoins et l’écriture du contrat par un notaire sont obligatoires. Les savants ont compris qu’il s’agit simplement d’un enseignement optatif, équivalent à un conseil ou une recommandation et qu’il n’implique aucune obligation, car il n’a pas été mis en pratique par le Prophète lui-même. Celui-ci a en effet fait un emprunt sans la présence de deux témoins ni l’écriture du contrat par un notaire[3], comme le stipule pourtant la lettre du verset. Certains savants de l’islam vont jusqu’à admettre que le Prophète pouvait abroger une loi coranique[4], parce qu’il est inspiré de Dieu.

En effet, il n’y a pas que le Coran comme mode de révélation divine, la sunna en est la deuxième strate. Certes, elle est d’expression humaine[5], mais elle reste d’origine divine, donc habilitée à ce titre à abroger le Coran[6].

Enfin, un autre exemple qui continue à faire polémique, celui du verset qui incite à « taper » l’épouse qui se refuse à son mari. Notons tout de même que ce n’est pas une incitation ni même une tolérance. Au contraire, cela s’inscrit dans une logique qui essaye d’abord les moyens pacifiques dans la résolution du différend conjugal comme le souligne le verset[7]. Cette autorisation circonstancielle ne concernait que les Mecquois, de culture très machiste, les Médinois étant dociles à l’égard de leurs épouses. Puis la violence conjugale a fini par être définitivement interdite par le Prophète qui dit : « Aucun homme désormais ne frappe sa femme comme si elle était un esclave[8]. » Là non plus, il ne faudrait pas comprendre que le maître, même à cette époque esclavagiste, pouvait tout se permettre avec son esclave ! Car un autre hadith (sunna) demande au maître qui a frappé son esclavede l’affranchir en guise d’expiation de sa faute[9].

La philosophie générale de la violence, en tout cas dans la mouvance sunnite (orthodoxe), est résumée par une règle du droit canonique que l’on pourrait exprimer ainsi : « Ni les individus ni les groupes n’ont le droit de se faire justice par eux-mêmes, seulement en situation d’extrême danger, par instinct de survie ou en cas de légitime défense. » Seul l’État a le monopole d’une violence légitime, dirait Max Weber.

1. Coran (3, 164) ; (62, 2).

2. Coran (2, 282).

3. Ismaël ibn Kathîr, Tafçir al-Qur’âne al-’Adhîm, Far al-Jîl,Beyrouth, 1990, t. I, p. 317-318.

4. Cet avis est défendu par les hanafites. Voir Sarakhsî in usûlas-Sarakhsy, manuscrit travaillé et authentifié par Abu al-Wafâ al-Afghâny, Dâr al-Maarifat, Beyrouth, [s. d.], t. II, p. 69-76.

5. À la différence du Coran, que le Prophète apprend par coeuret à la lettre par l’intermédiaire de l’ange Gabriel, la sunna, elle,est inspirée de Dieu, mais sa formulation est laissée à l’initiativepersonnelle du Prophète.

6. Al-Ghazâlî Abu-Hamid, Al-Mustasfâ, Dâr al-Kutub al-‘Ilmiyya,Beyrouth, 1993, p. 100.

7. « […] Les femmes vertueuses obéissent et gardent le secretcomme Dieu le fait. Et si vous craignez [les conséquences de]leur récalcitrance, alors raisonnez-les par de bonnes paroles,sinon boudez-les tout en restant avec elles dans le même lit, sinontapez-les. Et si elles vous écoutent, alors ne cherchez pas à leurnuire, car Dieu est supérieur et grand », Coran (4, 34).

8. Bukhârî via Abdullah ibn Zam‘a, Fath al-Bârî d’Ibn Hajar,Dâr al-Fikr, Beyrouth, 1991, t. X, n° 5204, p. 378-379.

9. Muslim, Ahmad ibn Hanbal, Abû Dawûd via Ibn ‘Umar, inAl-jâmi’ as-saghîr d’as-Suyûtî in Fayd al-Qadîr d’Al-Manâwî,Beyrouth, Dâr al-Fikr, [n. d], t. VI, no 9006, p. 219.

Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon 2019 – p33 à 35

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