jeudi, avril 25 2024

Certains auteurs musulmans contemporains, notamment en Occident, n’ayant pas compris la philosophie qui sous-tend cette classification territoriale canonique pratique, ont proposé par une sorte de subterfuge intellectuel de qualifier l’Europe et la France entre autres de « terre de prédication » (dar ad-da‘wat). Ce qui veut dire en terme canonique que pour rester musulman en Europe, il faudrait le faire avec l’intention et le projet missionnaire de l’islamisation des sociétés occidentales.C’était l’idée qui circulait dans les années 1980 et le début des années 1990. Au lieu d’alléger les pratiques musulmanes, on a rajouté aux musulmans, déjà vulnérables vu leur contexte occidental nouveau, la prédication et l’engagement prosélyte comme condition de résidence en France et comme condition de demande et d’acquisition de la nationalité.

Aujourd’hui, des jeunes musulmans pourtant nés en France et parfois des Français convertis, quittent la France car pour eux elle est une terre où l’islam n’est pas praticable.Se rendant compte que ce concept de « terre de prédication » est abrupt, agressif et pas du tout sémantiquement esthétique, des auteurs sont venus proposer celui de « terre de témoignage », plus « soft ». Une autre preuve d’amateurisme. Car cela signifierait que pour être un musulman en Occident au plan canonique, il faudrait ériger son apparence islamique en pratique religieuse. Ce concept a en effet nourri un islam de monstration, d’ostentation et par conséquent un islam de provocation, surtout lorsqu’on sait le mal identitaire dont souffre une majorité de nos jeunes musulmans. C’est encore encombrer davantage les musulmans par une obligation et une contrainte qui de surcroît les tourmenteraient, sans parler du sentiment d’insécurité culturelle que cela pourrait engendrer dans la société.

Voici une histoire vraie qui illustre ce genre d’aberration. Un imam est interrogé par une jeune fille musulmane en difficulté à cause de ce qu’on appelle abusivement le « foulard islamique ». Il lui dit qu’elle pouvait l’enlever si cela lui posait un problème. Victime du concept « musulman témoin », la fille rétorqua : « Mais alors comment va-t-on reconnaître si je suis musulmane ou pas ? ». Cette question se passe de commentaire. Une preuve des conséquences néfastes de cette vision aberrante d’un islam qui obligerait le musulman à se montrer comme musulman dans l’espace public comme si sa couleur, son nom et son comportement n’étaient pas déjà suffisants ! En tout cas pour ceux qui ne sont pas de souche européenne.

Cette catégorisation de la France en « terre de prédication » ou « de témoignage » n’est pas du tout sérieuse et relève plutôt d’un rafistolage théologique en plus d’être tératogène, c’està-dire source de « monstruosité religieuse », avec tout que cela pourrait engendrer comme visibilité de certaines pratiques disproportionnées par rapport à leur valeur canonique fondamentale et qui se feraient aux dépens d’autres plus méritoires, lesquelles généralement sont plus discrètes.

C’est déjà le cas en partie.L’idée que nous défendons ici c’est de définir canoniquement un pays par ses caractéristiques propres, lesquelles ont une incidence sur les formes des pratiques musulmanes concevables et possibles dans le cadre des lois et des valeurs du pays en question.Par conséquent, le droit canonique musulman doit qualifier la France comme elle s’est qualifiée elle-même : la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant les lois de tous les citoyens. La France est une terre de liberté, d’égalité et de fraternité.

Quelle place pour l’Islam dans la République ? pour les Nuls – ça fait débat – FIRST Édition – 2021 – Tareq Oubrou – p82 à 83

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