vendredi, avril 26 2024

Cette vision théologique d’un homme à l’image de Dieu, crée-t-elle une rupture entre l’homme et la nature, l’animal en particulier ? Non point. Si l’être humain tend vers le divin, néanmoins il reste fortement lié à sa nature animale. Il n’y pas de rupture théologique entre l’appartenance au règne animal et le souffle divin qui nous fait tendre vers l’Absolu et la Transcendance. En effet, le Coran tout en rappelant la place singulière qu’occupe l’homme dans l’ordre de la Création, fait remarquer que l’unité naturelle embrasse tous les êtres vivants, y compris l’homme. Cette unité des vivants n’est pas uniformité, ni anarchie. Elle se réalise dans la diversité et la hiérarchie. Cependant, le Coran ne manque pas de souligner les ressemblances : « Il n’y a pas de bêtes sur terre, il n’y a pas d’oiseaux volant de leurs ailes qui ne forment, comme vous, des communautés »[1], dit le Coran. Voilà qui place le statut des espèces animales à un niveau respectable, alors que beaucoup considèrent encore les animaux comme des vivants sans importance.

Non seulement le Coran établit des similitudes sociobiologiques entre l’espèce humaine avec les autres espèces animales, mais il informe qu’elles sont aussi des êtres spirituels, habités par des âmes : « Les sept cieux, la terre et tout ce qui s’y trouve célèbrent ses louanges. Il n’y a rien qui ne célèbre ses louanges, seulement vous ne pénétrez pas – le mode de – leur glorification. Dieu est plein de mansuétude et Il pardonne. »[2] Encore plus précis, le verset qui dit : « Ne vois-tu pas sa Transcendance célébrée par tous ceux qui habitent la terre et les cieux ? Les oiseaux déployés, chacun d’eux sait bien le prier, célébrer sa Transcendance. Dieu de tout ce qu’ils font est connaissant. »[3]

Les animaux possèdent leur langage même s’il nous échappe, et donc ils ont des pensées et des sentiments. Ils bénéficient d’une certaine spiritualité dont le mode nous est inconnu. Le Coran parle du pouvoir donné à David, Roi et Prophète, capable de communiquer avec le monde animal[4]. Il rapporte qu’il célébrait avec les montagnes et les oiseaux les louanges de Dieu[5]. Son fils Salomon bénéficiait aussi du même don[6]. Le Prophète de l’islam avait aussi ce pouvoir spirituel de communication avec le monde animal, comme il est rapporté par certains hadith.

Le Coran dans une certaine mesure donne le monde, extérieur à l’homme, comme exemple à suivre en matière d’Unicité. Rappelons qu’un certain nombre de sourates du Coran sont portent des noms d’animaux (abeilles, fourmis…). Il ne se contente pas de nous rapporter le fait qu’il y a des ressemblances organisationnelles et éthologiques entre l’homme et le reste des espèces, il stipule que le règne animal instinctivement et naturellement peut nous inspirer et nous instruire. Il nous parle de la première inhumation d’un mort. Un acte enseigné à l’homme par un corbeau. Dans l’histoire de Caïn (Qâbîl) et Abel (Habîl) – sans mentionner leurs noms – où il s’agit du premier meurtre commis sur Terre, le Coran rapporte que le criminel (Caïn) est resté perplexe et ne savait comment se comporter à l’égard du cadavre de son frère. Devant ses yeux, un corbeau enterra un autre corbeau mort, l’ensevelit après avoir creusé une tombe. Il lui inspira ainsi la façon d’inhumer[7]. En réalité, de tels comportements animaux sont nombreux ; il suffit d’y prêter attention. Nous sommes en effet devant un exemple où le rituel animal inspira le rituel humain d’enterrement. Certains anthropologues feront la distinction en parlant de cérémonial pour l’animal et de rituel pour l’homme[8]. Peu nous importent ici les querelles d’écoles entre anthropologues et zoologistes éthologues. Ce qui nous intéresse, c’est la portée théologique du comportement animal. Nous sommes ici devant un indice historique qui nous informe sur la nature humaine primaire, à son degré culturel zéro, au moment où le geste ethnologique de l’homme et le geste éthologique de l’animal, où la culture et la nature, se rejoignaient divinement.

Malgré le développement culturel et technologique de l’humanité aujourd’hui, les enseignements que peuvent nous apporter les animaux restent d’actualité. Les animaux sont une source inépuisable d’enseignements, et pas uniquement une source de nourriture et de consommation. Malheureusement, par arrogance, ce sont ces dernières que nous utilisons et retenons.

En effet, ce rite d’inhumation enseigné par la nature deviendra pour l’homme un acte rituel. Il sera confirmé, canonisé, mais sous forme de Parole révélée, cette fois-ci : « C’est à partir d’elle – la terre – que nous vous avons créés, en elle que nous vous ramènerons, et d’elle nous vous ferons sortir ne fois encore. »[9] La Révélation dernière, le Coran, vient confirmer la révélation primaire, celle de l’instinct animal, celle de la nature.

Le Coran vient marquer, à ce niveau théologique, une différence nette par rapport à une vision de l’animal qui a marqué l’Occident dès le Moyen Age et jusqu’à une époque récente. En effet, le récit coranique place l’homme dans la nature, et pas en dehors d’elle, dans la continuité par rapport à l’animalité, contrairement à la discontinuité et la rupture théologique entre l’homme et l’animal qu’a apporté à l’Occident la pensée augustinienne et thomiste, pour ne citer que ces auteurs.

[1] Coran VI, 38.

[2] Coran XVII, 44.

[3] Coran XXIV, 41.

[4] Coran XXVII, 16.

[5] Coran XXI, 79.

[6] Voir son histoire avec la huppe et la fourmi dans la Sourate 27 intitulée Les Fourmis.

[7] Coran V, 31.

[8] Luc de Heusch, Introduction à la ritologie générale, in E. Morin/M. Piatteli-Palmarini. Pour une anthropologie fondamentale, tome 3, p.213-221, éditions du Seuil, 1974.

[9] Coran, XX, 55.

L’Unicité de Dieu – opuscule 1 – Edition Bayane – p136 à 139
Tareq Oubrou

 

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