jeudi, mars 28 2024
De spiritualité, l’islam s’est transformé en civilisation, laquelle a subi une implosion. Avec répercussions néfastes pour l’islam en tant que religion.
Certains veulent reproduire cette histoire. Or, au lieu d’essayer de ressusciter désespérément ce que l’histoire a enterré, mieux vaudrait en faire définitivement le deuil. L’urgence est d’extraire l’âme de l’islam – en tant que spiritualité – du corps d’une civilisation devenue cadavre, afin de faciliter son intégration dans l’histoire contemporaine, notamment occidentale. Ce chantier théologique et intellectuel est une nécessité pour le monde musulman en général et un préliminaire à l’intégration de l’islam dans la République française, en particulier.
Une telle réforme n’est pas une option, mais une obligation religieuse, car le Prophète de l’islam, lui-même, a appelé les musulmans à faire à chaque siècle[1] un travail de renouvellement fondamental de la religion.
Cette réforme doit commencer par une dépolitisation et une « désidentitarisation » de l’islam. Pour cela, il faudrait sortir du paradigme médiéval théologico- politique qui assimilait la notion de citoyenneté à celle du fidèle, exception faite pour le dhimmî. C’est ce qui explique, pour ne citer que cet exemple, pourquoi la peine capitale est réservée à l’apostasie. Car selon cette configuration confusionnelle, renier sa communauté spirituelle et religieuse revenait aussi à renier sa communauté nationale politique et donc était considéré comme une trahison capitale. Or, cette peine est contredite fondamentalement par la lettre du Coran et par le comportement même du Prophète qui permit à un musulman de quitter l’islam et Médine, à sa demande, et de rejoindre sa tribu païenne. Son apostasie étant pacifique et sans trouble pour l’ordre public, le Prophète n’avait trouvé aucune raison valable de le retenir, et encore moins de lui appliquer la peine capitale[2]. Laquelle peine capitale a toujours été pendant le Moyen Âge, soulignons-le, plus dissuasive qu’effective[3]. Le Prophète a même signé un pacte de paix avec ses ennemis mecquois dans lequel il était stipulé qu’un Médinois musulman, s’il voulait quitter l’islam et rejoindre l’ennemi à La Mecque, ne devait pas être empêché ni inquiété. De même, il était précisé qu’il fallait rendre un Mecquois converti à l’islam aux Mecquois s’il venait à rejoindre le Prophète à Médine. Et Mahomet respecta ce pacte[4], lui qui gérait la cité selon les règles et les conventions en vigueur.
La foi ne peut être imposée, ainsi que nous l’avions mentionné au chapitre précédent. Il existe donc bel et bien une possibilité théologicocanonique, gravée dans la lettre des sources scripturaires, permettant de débarrasser l’islam de la vision identitaire qui a confondu, à un moment donné, le statut théologique du fidèle et celui politique du citoyen.
1. Abû Dawûd via Abû Hurayra, Sunan Abû Dâwûd, Dâr al-Jîl, Beyrouth, 1988, t. II, K31, no 4291, p. 512.
2. Muslim via Jaber, Ikmâl al-mu‘lim d’Al Qâdî Ayyâd, dâr alwafâ, Al-mansûra (Égypte), 1998, t. IV, no 1383, p. 501.
3. On connaît une catégorie de personnes qui ont renoncé au cours du Moyen Âge à la foi musulmane sans être inquiétées. Il s’agit d’agnostiques de culture musulmane appelés zendîq, mot d’origine persane. Ils sont connus pour leurs textes littéraires et leur poésie (voir Shahrastânî in Al-aghânî, en vingt-six volumes). Le célèbre Ibn al-Muqaffa’, auteur de Kalîla wa dimna, fait partie de ces agnostiques. Mais le plus illustre reste Ibn ar-Râwandî, connu pour ses provocations, ses moqueries et ses critiques à l’égard des croyances et des pratiques musulmanes. Il est l’auteur de ‘Abath al-hikma (L’Absurdité de la sagesse) et d’Az-Zumurrud (L’Émeraude), entre autres ouvrages. Ce dernier livre fit l’objet de critiques de la part de théologiens, notamment d’Ibn ‘Imrân Hibatullah ash-Shîrâzî dans son ouvrage Al-majâlis al-mu’ayyidat. La réplique à ces pensées agnostiques était d’ordre intellectuel et non coercitif. En effet, ces agnostiques ont fait progresser la théologie et la philosophie d’une manière indirecte.
4. Bukhârî via Al-Miswar et Marwan, Al-Fath d’Ibn-Hajar, Dâr al-Fikr, Beyrouth, 1991, t. V, no 2731-2732, p. 675-679.
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon – p274 à 277
Previous

Le Coran ne parle pas de lui-même

Next

La foi est un acte du cœur

Check Also