jeudi, mars 28 2024
Croire que chaque enseignement du Coran oblige systématiquement le musulman ici et maintenant participe d’une autre croyance tout à fait absurde, celle que tout est dans le Coran. Une idée qui peut troubler le musulman le plus normalement constitué, qui ayant lu tout le Coran n’est pas en mesure de trouver les réponses à toutes ses questions. Il y a vraiment de ces croyances qui peuvent rendre fou un croyant doté de bon sens. Ceci est d’autant plus grave que c’est une injure faite à Dieu. Car cela signifierait qu’avec la fin de la révélation coranique Dieu n’aurait plus rien à dire ; et qu’avec la mort du Prophète, Dieu serait devenu muet.
Or le Coran réfute cette absurdité à plusieurs reprises. Il affirme que toutes les paroles de Dieu n’y sont pas contenues[1]. Pourtant, cette idée chimérique – que Dieu aurait déposé l’intégralité de son savoir et de ses paroles dans le Coran – est gravée sournoisement dans certains esprits musulmans comme dans le marbre. Si cela était vrai, comment comprendre le Coran au sujet de la Torah : « Nous lui [Moïse] avons inscrit dans les tables [Torah] une exhortation au sujet de toutes choses, ainsi qu’un exposé détaillé de toute chose…[2] » En prenant ce passage du Coran à la lettre, on pourrait se demander pourquoi Dieu a révélé sa parole dans l’Évangile, puis dans le Coran si tout était écrit et détaillé dans la Torah ? !
On peut avoir le même raisonnement pour les versets du Coran qui disent que celui-ci est un éclaircissement de toute chose[3]. À quoi servirait donc la tradition du Prophète (sunna ou hadith), qui est pour tous les musulmans la deuxième source scripturaire de l’islam ? Dieu aurait-il oublié de mentionner dans le Coran les cinq prières, qui ne se trouvent que dans la tradition du Prophète ? Et si tout était contenu dans le Coran et dans la tradition du Prophète, pourquoi alors Dieu appelle-rait-il son lecteur à chercher des signes de sa part dans la nature, dans l’Univers et dans sa conscience profonde ? « Nous allons leur montrer nos signes dans les horizons et en eux-mêmes afin que vérité se révèle à/en eux[4]. » En effet, selon la théologie classique musulmane, le Coran et la tradition du Prophète ne sont que des modes de communication divins parmi d’autres. Les textes sont une ligne de départ et non une station d’arrivée.
À cet égard, nous pouvons dire que l’islam n’est pas une religion d’un seul livre, mais de trois livres : le livre révélé (Coran et sunna), le livre naturel et le livre de la raison. Il s’agit de les réconcilier tous. Nous verrons dans le chapitre suivant une autre réconciliation, celle de la Bible et du Coran. C’est pour toutes ces raisons que nous combattons l’idée simpliste qui consiste à croire qu’il suffit de lire le Coran pour le comprendre, et de le comprendre pour le mettre en pratique en faisant abstraction de la réalité et des autres modes de savoirs universels. Cette idée dangereusement réductrice est une vraie menace pour la foi du musulman, avec tous les dégâts sociétaux que cela peut générer et que seul un doute raisonnable peut sauver.
1. « Dis, si l’océan était une encre pour écrire les paroles de mon Seigneur, alors l’océan serait tari avant que ne s’épuisent les Paroles de mon Seigneur, même si Nous Lui ajouterons encore une quantité d’encre équivalente à la première », Coran (18, 109). « Si tous les arbres de la terre étaient calames [crayons] et si l’océan avec sept autres océans leur fournissaient de l’encre, les paroles de Dieu ne s’épuiseraient pas. Dieu est noble et sage »,
Coran (31, 27).
2. Coran (7, 145).
3. « […] Et Nous t’avons révélé le Livre en tant qu’éclaircissement de toute chose […] », Coran (16, 89).
4. Coran (41, 53).
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon 2019 – p41 à 43
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