Il est indispensable aujourd’hui de s’engager dans le dialogue interreligieux et interculturel. Il y a même une urgence liée à l’évolution récente de notre monde. La mondialisation postmoderne assiste à un recul d’une croyance dans la philosophie du progrès : la théorie laïque du salut ne suffit plus à répondre aux inquiétudes existentielles de notre époque.
L’humanité est rongée par une incertitude profonde, provoquée par la globalisation économique, la porosité des frontières, l’interpénétration des cultures et des traditions liées aux flux migratoires et aux techniques de communication et de transport de plus en plus sophistiquées. Cette évolution favorise un retour à l’irrationnel en général, aux spiritualités et aux religions en particulier. En effet, notre monde, comme le qualifie le sociologue américain Peter Berger, est furieusement religieux. Je suis convaincu que, dans ce climat de turbulence, les religions ont toutes un potentiel de générosité, de sagesse et un sens éthique de transcendance capable de créer un lien solide entre les hommes, au-delà de leurs différences. Si les croyances, les dogmes et les systèmes philosophiques et métaphysiques nous divisent, je crois fermement qu’il y a une éthique pragmatique universelle possible qui nous permet de vivre ensemble. Le sens peut être différent d’une tradition à une autre, mais l’action vers un avenir pacifié, elle, peut être commune. Les religions ne sont pas des abstractions. Et le dialogue interreligieux est d’abord une rencontre d’hommes et de femmes. Des êtres humains qui dialoguent, traversés par des traditions religieuses différentes, mais partageant la même humanité, le même monde, la même réalité et parfois la même culture, la même condition sociale, la même langue et la même mentalité, les mêmes intérêts. Le dialogue interculturel et interreligieux relève avant tout d’une éthique de l’altérité et de la rencontre. Il devrait avant tout être motivé par la curiosité naturelle de rencontrer celui qui est différent, mais qui paradoxalement nous ressemble par certains aspects. Nous sommes tous en définitive des humains appartenant à une grande et même famille. Nous sommes différents ethniquement, linguistiquement, religieusement et c’est ce qui fait notre richesse. D’ailleurs le Coran nous invite à nous rencontrer : «Nous vous avons créé à partir d’un homme et d’une femme et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus afin que vous vous connaissiez mutuellement…» (49 :13). Mais le dialogue n’est pas seulement la rencontre de l’autre. Dans le climat de tension actuel, le dialogue doit aussi s’inscrire dans une stratégie géopolitique – pour ne pas dire « géo-théologique » – afin d’édifier une politique de l’entente entre les nations, de contribuer à la paix civile des sociétés et des peuples.
Viser la prévention des conflits
Il s’agit, dans ce dialogue, de viser la prévention des tensions où les religions pourraient se trouver impliquées. Cette «géo-théologie» répondrait ainsi au mouvement de desécularisation sauvage que nous avons décrit plus haut – et qui menace également ces mêmes religions de l’intérieur ! – afin d’anticiper sur des formes violentes du religieux qui alimenteraient des revendications identitaires capables de déchirer les tissus sociétaux, de menacer les unités nationales et de catalyser les conflits entre les nations. Il est d’autant plus important aujourd’hui que les religions ne transforment pas leur universalisme en un totalitarisme qui porterait préjudice aux valeurs spirituelles qu’elles sont censées porter. Toutes doivent rassurer les hommes et offrir l’espérance pour une vie meilleure, plus juste, plus égalitaire. Au lieu d’un conflit interreligieux, elles doivent combattre, main dans la main, les menaces de violence et d’incompréhension qui pèsent sur l’avenir de l’humanité.
Article publié le 2011-01-11 – Tareq Oubrou – La nouvel Afrique