La France est un pays, une nation, une géographie, une histoire, une culture, une civilisation… La République est le régime politique qui la gouverne. Sa philosophie politique est héritière des Lumières. Rousseauiste, universaliste et abstrait, notre modèle républicain, fort de ses institutions, refusa dès le départ les corps intermédiaires, qu’il finit par accepter après certains compromis. Sa défiance à l’égard de toute tentation communautariste n’a cependant pas faibli. La République en ce domaine est restée intacte. Le citoyen, rien que le citoyen. Notre République ignore les « communautés » et les « minorités ». Son utopie politique demeure, à ce titre, la plus exigeante en matière d’égalité.
Elle est au fondement d’un État de droit où la légitimité est synonyme de légalité rationnelle, ni coutumière ni charismatique, pour convoquer des catégories wébériennes (établies par le sociologue allemand Max Weber).La laïcité est une des dimensions notoires de la République, à condition de ne pas la confondre avec l’espace À retenir public ou avec l’État et la société, sinon on tomberait dans la définition même du totalitarisme. L’État est neutre, tandis que la société reste un espace où s’expriment les tendances convictionnelles individuelles et collectives, tant que l’intérêt et l’ordre publics ne sont pas objectivement et rationnellement menacés. La laïcité garantit la liberté de conscience et protège les individus et les groupes de la pression et de la violence idéologique ou religieuse des autres individus et des autres groupes.
La laïcité de l’État est un régulateur des libertés religieuses.Le citoyen peut être agnostique, athée, catholique, protestant, juif, musulman, bouddhiste, etc. Aucun citoyen ni groupe ne peuvent se prévaloir être laïque ni d’avoir le monopole de la laïcité. La laïcité est l’affaire de tous.En effet, ni le citoyen ni la société ne sont laïques selon les textes juridiques. La laïcité n’incombe qu’à la République, à l’État, au service public. Même l’agent du service public n’est pas obligatoirement laïque, mais doit garder une neutralité dans le cadre de l’exercice de sa fonction. L’usager, quant à lui, n’est pas tenu d’être neutre.J’ai souvent remarqué chez certains intellectuels et hommes politiques une confusion sémantique entre laïcité et nonreligiosité, athéisme ou agnosticisme. C’est une faute, plus qu’une erreur. On ne confisque pas la laïcité française pour la mettre dans la main d’une seule catégorie de citoyens. Ce n’est pas celle de la Belgique, par exemple. La « laïcité » belge est représentée par des organisations d’humanistes, de libres penseurs, d’agnostiques ou athées, à côté des cultes reconnus : le catholique, orthodoxe, israélite, anglican, protestant évangélique, islamique. Elle est donc une catégorie parmi d’autres.Notre laïcité française est « la catégorie » au sein de laquelle s’expriment toutes les autres catégories de conscience, dans le respect des lois de la République.
Une « laïcité publique », pour reprendre le titre du livre d’Émile Poulat, que tout citoyen doit défendre en principe, car elle constitue la branche sur laquelle tout le monde est assis.Aussi, la laïcité est-elle indissociable de la question des droits de l’Homme. Elle n’interdit pas « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé ». C’est dans cet esprit qu’il faudrait interpréter notre laïcité inscrite dans le premier article de la Constitution, au sens où « elle respecte toutes les croyances ». Sa loi « assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice du culte », et cela même au sein de l’école publique, au collège et au lycée pour ne citer que ce domaine très sensible, puisqu’elle a prévu la présence d’aumôneries religieuses pour répondre aux besoins spirituels des élèves croyants, si leurs parents ou eux-mêmes – s’ils sont majeurs – le souhaitent et en font la demande.C’est cette laïcité qui a surtout et essentiellement permis l’émancipation de l’État vis-à-vis du pouvoir de l’Église. Et, par là même, elle a libéré la religion de l’ingérence du politique.
Elle est donc une chance aussi pour les religions. Celles-ci sont protégées par la loi et peuvent dire ce qu’elles veulent à partir du moment où elles ne prétendent pas dire ni faire la loi. Notre laïcité va jusqu’à protéger la religion de ses dérives communautaristes en mettant à l’abri les croyants des dissuasions et des coercitions de leurs coreligionnaires qui n’en partagent pas la même interprétation ni le même rapport à la pratique.Aux yeux de la République, les croyants sont d’abord et surtout des citoyens avant d’être des fidèles d’une quelconque religion.
C’est le principe d’égalité devant les lois de la République qui s’applique à tous. Cette vision laïque convient totalement à ce que nous défendons comme vision individuelle de l’islam, qui n’est pas théologiquement une religion liée à un système politique, ni à une terre promise – ou sainte –, ni à un peuple particulier, ni à une Église étrangère, ni à une vision communautariste puisque le croyant n’est responsable que devant son Créateur et non devant sa communauté religieuse, sinon il tomberait dans l’hypocrisie ou le fanatisme tribal condamné par les Textes de l’islam. En effet, le Prophète condamne le musulman qui s’allie et défend systématiquement sa communauté, même lorsqu’elle est en tort (Muslim, Abu Dâwûd).Aussi, l’islam de France ne connaît-il ni ne reconnaît aucun « tribunal confessionnel musulman ».
C’est dans le cadre du droit français que les musulmans peuvent faire leurs options éthiques en matière de mariage, de divorce, transactions, etc.Et en cas de litige, il n’y a qu’un seul juge et un seul tribunal, ceux de la République. La fonction de juge musulman (cadi) quelle que soit sa forme est suspendue par notre « sharia de minorité » et à travers notre concept d’« éthicisation de la sharia » qui exclut, entre autres dispositions, toute tentative de transformer les mosquées en tribunaux et les imams en juges. Leur fonction religieuse ne doit contenir aucun aspect dissuasif, encore moins coercitif à l’égard de leurs coreligionnaires. Cette version de l’islam est donc, théologiquement et théoriquement, en parfaite compatibilité avec notre modèle républicain laïque.
Quelle place pour l’Islam dans la République ? pour les Nuls – ça fait débat – FIRST Édition – 2021 – Tareq Oubrou – p110 à 113