vendredi, décembre 13 2024
Pourquoi Dieu mettrait-il en Enfer des personnes qui n’ont pas eu la chance d’être nées musulmanes ? Croire cela, c’est risquer d’accuser Dieu d’être injuste et insinuer qu’il joue aux dés avec les âmes de ses créatures. Le Paradis et l’Enfer ne seraient alors qu’une question de hasard, une affaire de loto. Il y aurait donc des humains bien nés, et d’autres non ? Cette question a beaucoup troublé le grand Ghazâlî (Algazel). Dans son ouvrage La Délivrance de l’erreur[1], ce théologien décrit son passage, par moments, de grand doute, qui fut pour lui salutaire.
Il en a élaboré une théologie du doute méthodologique. Il a remarqué que les enfants chrétiens deviennent chrétiens par éducation, les enfants juifs deviennent juifs par éducation, de même pour les enfants musulmans. Ce qui l’a violemment interrogé. Il a procédé alors par démarche de vérification des informations que nos sens nous transmettent et qui peuvent nous induire en erreur ainsi que des raisonnements susceptibles de nous égarer. Il a développé ces idées dans d’autres ouvrages des plus complexes comme La Norme du savoir[2], entre autres, où il aborde le fait que non seulement nos sens peuvent nous tromper, mais également nos habitus intellectuels.
Quand on lit le Discours de la méthode de Descartes, on ne peut évacuer l’idée que ce dernier ait été informé des travaux de Ghazâlî, qui vécut sept siècles avant, tant il y a de similitudes entre leurs oeuvres, et ce, même au niveau de certains exemples illustratifs. Dans son Sauveur de l’égarement (Al-munqîd mina addalâl), il décrivait sa démarche en soumettant au doute et à la critique toutes les formes des savoirs philosophiques[3] (sciences naturelles, logiques, métaphysiques, etc.) à l’exception des mathématiques, les seules pour lui qui procurent une connaissance apodictique et certaine. Le reste n’est qu’un savoir et une opinion hypothétiques, qui doivent être soumis au doute et donc à l’examen[4].
La même démarche fut suivie par Descartes, à la fin de la première partie de son Discours de la méthode, où il considère exactement et avec la même approche qu’à part les mathématiques qui sont sûres les autres savoirs philosophiques ne sont bâtis sur aucun fondement ferme[5]. Pour ne citer que cet exemple. C’est ce doute méthodologique sur les questions, notamment métaphysiques, qui explique pourquoi Ghazâlî était un théologien indulgent et ouvert quant au salut des non-musulmans, comme nous le verrons ci-après.[…]
 
1. Abu-Hâmid Al-Ghazâlî, Majmû’atu ar-rasâi’îl, épître 24 : Al-munqid mina ad-dalâl, Al-Maktabat at-Tawqîfiyya, Le Caire, [s. d.], p. 578-608.
2. Livre en arabe Mi’yar al-’ilm.
3. La philosophie à son époque englobait le savoir rational, naturel, métaphysique, etc.
4. Abu-Hamid Al-Ghazâlî, Majmu’at ar-rasâ’il, épître 24 : Al-Munqidh Mina ad-Dalâl, Al-Maktaba at-Tawfîqiyya, Le Caire, [s. d.], p. 584-590.
5. Descartes, Discours de la méthode, Flammarion, 2000, p. 36-38.
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon – p165 à 167
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