mardi, mars 19 2024

Il faut dire, de prime abord, que le récit coranique de la chute d’Adam diffère quelque peu de celui de la Genèse. Certaines de ces différences ont des conséquences théologiques et morales majeures. D’abord, il souligne la différence entre la faute d’Iblis[1] et celle d’Adam et Eve. Le premier pécha par orgueil ; les autres ont été tentés par le premier, profitant d’un moment de faiblesse et d’oubli[2], et de leur bonne intention de vouloir devenir éternels ou être des anges pour être plus près de Dieu éternellement. C’est ce que leur a promis Iblis, à conditions qu’ils mangent de l’arbre[3]. Le premier pécha par lui-même, sans être induit en erreur par un agent extérieur, et refusa ensuite de se repentir en s’obstinant dans la faute ; les autres péchèrent par naïveté à cause d’un tiers, mais se repentirent en reconnaissant leur faute.

Aussi, Eve n’était-elle pas responsable du péché d’Adam, elle n’était pas l’envoyée du Satan à Adam, comme le laisse entendre le récit de la Genèse. En effet, ce récit a souvent été reçu comme une information sur une nature négative qui caractériserait la femme comme une alliée historique du Diable. Le récit coranique, quant à lui, ne donne aucun espoir à cette lecture théologique de la femme : les deux péchèrent au même titre, nous dit le Coran. Iblis leur parla, à tous deux simultanément, les séduisit en même temps. C’est même l’impression contraire, que laissent entendre des passages du Coran. C’est Adam qui est responsable. Ce qui compte, dans le récit coranique, c’est que tous les deux sont pardonnés et rapprochés de Dieu. Cette histoire est banale dans la mesure où elle ne donne aucune théologie particulière sur le péché, si ce n’est ce le statut élevé auprès de Dieu, auquel ils ne pouvaient accéder sans cette chute, justement. L’état spirituel d’Adam et Eve est plus élevé auprès de Dieu après le repentir qu’avant le péché. Certes, le Coran parle dans un passage du seul Adam, mais sa femme est concernée par voie de conséquence[4].

Cette chute constitue un éloignement ponctuel qui leur permet d’apprécier la proximité retrouvée, qui n’a de sens que s’il y a eu éloignement. On n’estime certaines choses à leur juste valeur que lorsqu’on les perd, avant de les retrouver. La séparation éveille ici la conscience pour mieux apprécier le don. En effet, la chute a fait sortir Adam et Eve de la banalité de l’existence, d’une jouissance relative sans mérite, pour les faire enter dans l’aventure, la dualité et le contraste d’un monde dans lequel Dieu se manifeste à travers ses multiples Attributs, un monde qui permet de mieux apprécier la jouissance finale, bien méritée, celle du Paradis éternel, où la rencontre et la connaissance de Dieu atteindra son apothéose.

[1] Iblis est le nom d’un djinn qui refusa de se conformer à l’ordre divin donné aux anges alors qu’il se trouvait parmi eux. Tous les anges se prosternèrent devant Adam pour honorer la nouvelle créature de Dieu, sauf lui. Il déclara alors son hostilité à Adam et à sa descendance. Il ne faut pas confondre Iblis avec « satan ». Iblis est un nom propre et « satan » un attribut de celui qui se rebelle contre l’ordre de Dieu, en connaissance de cause, fait le mal ou le prône. Iblis, à cet égard, représente le « satan » par excellence et peut s’écrire « Satan », avec un « S » majuscule.

[2] Coran XX, 115.

[3] «… Il dit – Iblis – : « Votre Seigneur vous a interdit cet arbre afin que vous ne soyez ni anges ni immortels. » Il leur jura : « Je suis, pour vous, un conseiller digne de confiance. » Et il les fit tomber par sa séduction. »  Coran XII, 20, 21

[4] « … Et Adam désobéit à son Seigneur puis s’égara. Ensuite son Seigneur le rapprocha, lui pardonna et le guida. » Coran XX, 122

L’Unicité de Dieu – Des Noms et Attributs divins (opuscule 1/10), éditions Bayane, Saint-Denis, 2006. p150

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