vendredi, avril 19 2024

La clé de voûte de la compréhension du Coran se trouve dans une « métaphore galénique ». En effet, le Coran est comme un médicament, il contient un principe actif (esprit ou message) enrobé dans des excipients et des adjuvants culturels (langue arabe, contexte anthropologique…). Par conséquent, toute confusion à ce niveau de perception du phénomène coranique conduirait à une lecture qui non seulement serait sans effet mais pourrait être nocive, voire mortelle. Plus fondamentalement il s’agit de passer de la lettre du texte et même de son intention à celle de son auteur.

Ce qui doit importer le plus, c’est la pédagogie coranique. La question devient alors plus théologique que normative si l’on considère que « Dieu peut légiférer une loi qu’Il ne voulait pas forcément et qu’Il voudrait ce qu’Il n’a pas légiféré », pour reprendre une remarque théologique d’al-Juwaynî. On peut comprendre cette règle théologique à la lumière d’un Hadith normatif du Prophète qui dit : « Parmi les choses que Dieu a autorisées – tout en Lui étant la plus détestable – il y a le divorce. » Cela signifie en clair que la loi coranique ne reflète pas forcément l’idéal conforme au Vouloir divin. On comprendra alors pourquoi le Coran tout en limitant et en atténuant les inégalités, sans les suspendre toutes, ouvre parallèlement et implicitement tout un dispositif d’évolution par le biais du principe recteur (irchad) vers l’idéal, une fois le contexte devenu favorable. Une loi doit toujours attendre le moment convenable pour qu’elle soit admise et bien appliquée, sinon elle serait contre-productive ou tout simplement refusée. L’histoire nous montre que l’esclavage ne fut aboli qu’une fois devenu plus couteux socialement, moins rentable économiquement, surtout après la révolution industrielle. Il n’y avait donc pas que des considérations philosophiques et éthiques, mais aussi pragmatiques voire utilitaristes.

Ce qui pourrait paraître aujourd’hui choquant dans le Coran s’explique par le fait que les conditions pour changer certaines lois n’étaient tout simplement pas toutes réunies lors du moment coranique. Le temps était trop court pour opérer tous les changements qui ont été amorcés par la dynamique de la Révélation. Il y a donc une intention téléonomique que le canoniste musulman doit extraire à partir du Coran lui-même. Aujourd’hui, la technologie, entre autres, qui est l’une des caractéristiques de notre modernité, a permis par exemple aux femmes de travailler, d’avoir la même mobilité que les hommes, d’être ministres ou même présidentes – même si la parité est loin d’être atteinte – et d’être chefs d’entreprise, sans être handicapées par le physique, etc. C’est aussi grâce aux avancées de la médecine et des moyens de contraception que les femmes ont pu maîtriser leur fécondité – ce que l’islam n’a jamais condamné depuis ses origines. Tout ceci, entre autres, lié aux progrès de l’humanité, a permis aux femmes de rivaliser plus loyalement avec les hommes dans la société , voire même de les dépasser dans certains secteurs. Cette nouvelle situation convoque dès lors un déplacement d’un certain nombre de normes coraniques vers des formes éthiques concrètes, adéquates à la condition des hommes et des femmes aujourd’hui.

Cette perception cinétique du Coran est la seule réponse à ce conservatisme statique aiguë qui, au lieu d’extraire l’esprit et la méthodologie du Coran pour les traduire sous une forme nouvelle et contemporaine, cherche à reproduire un contexte coranique pour lui faire correspondre la lettre du Coran, confondant ainsi l’enveloppe avec le message que contient la lettre. Ceci à supposer que la lettre du Coran ait été un jour appliqué totalement, même à l’époque du Prophète.

Coran, clés de lecture – Fondapol 2015 – Tareq Oubrou

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