jeudi, mars 28 2024

Il y a deux niveaux du discours coranique sur l’égalité des hommes et des femmes, l’un sur l’égalité ontologique et l’autre sur l’égalité juridique. La première égalité est métaphysique, voire axiologique ; la seconde dépend de la réalité historique.

La taxinomie du scripturaire en principiel et en circonstanciel est ici opérante. Il faudrait rappeler en même temps, pour ne pas tomber dans un anachronisme, que le concept d’égalité entre les hommes et les femmes tel que nous l’entendons aujourd’hui est né avec la modernité. L’égalité ontologique et métaphysique. Le Dieu du Coran ne s’est pas fait homme, masculin, à travers sa kénose et son incarnation dans Jésus, devenu Christ. Dans son apothéose, il est resté ni féminin ni masculin. Il n’a pris la chair ni d’un homme ni d’une femme.

Aussi le récit du Coran ne cadre-t-il pas avec celui de la Genèse biblique. Selon le Coran il n’y avait qu’un seul être (nafs wâhida)[1] qui donna deux entités (Adam et Ève) sans chronologie, une même âme (rûh) asexuée par essence mais dans deux corps différents. Ève n’a donc pas été créée pour tenir compagnie à Adam, encore moins son appendice sortant de sa côte, mais son égale, si l’on se réfère à la lettre du Coran cette fois-ci. Il n’y a pas non plus une faute d’Adam qui serait séduit par Ève, laquelle serait pécheresse par essence et complice de Satan. Le Coran sur ce sujet reste laconique : les deux furent tentés par Satan en même temps, péchèrent en même temps, se repentirent en même temps, puis furent pardonnés tous deux en même temps. Il n’y a pas de péché originel dont la cause serait la femme parce que tentatrice par nature. Les théologiens musulmans n’ont jamais parlé d’une quelconque infériorité spirituelle, intellectuelle et morale de la femme par rapport à l’homme, car le Coran a clos ce débat dès les débuts de la Révélation. L’égalité pratique et juridique Si l’égalité est un principe théologique, métaphysique et ontologique absolu souligné par les textes de l’islam, néanmoins elle reste relative en matière de droits et de devoirs des hommes et des femmes, vu le contexte du moment coranique.

Les textes principiels soulignent l’égalité ontologique spirituelle et axiologique de l’homme et de la femme, alors que les textes circonstanciels normatifs soulignent les différences. En effet, le droit codifie essentiellement pour le corps en fonction de la division des rôles donnés dans la société. Ce droit coranique différencié ne pouvait être mieux formulé dans un contexte tribal et patriarcal, où la richesse et le pouvoir étaient surtout liés à la force physique et où, de fait, les femmes étaient mises à l’écart des circuits politiques, économiques, etc. En conséquence de quoi, elles ne pouvaient avoir une grande indépendance par rapport aux hommes dans un tel contexte.

C’est le sens du passage qui dit : « Elles ont des droits équivalents à leurs devoirs selon l’usage, et les hommes les dépassent par un degré – celui de la responsabilité 38. » Ce qui est tout à fait banal si l’on s’en tient à la condition des hommes et des femmes quels que soient d’ailleurs leur religion, leur culture, leur peuple, etc., dans le monde et à cette époque. Le constat que fait ce verset est pris malheureusement par beaucoup de musulmans comme une injonction et un modèle de société à entretenir. Or c’est la configuration anthropologique d’alors qui explique la disposition différenciée entre hommes et femmes dans les statuts de l’ordre social et relationnel (héritage, témoignage…), mais aucunement dans l’ordre spirituel, intellectuel et cultuel. Les femmes du moment coranique n’espéraient probablement pas mieux en matière d’héritage, d’indépendance économique, d’accès au savoir, de témoignage… C’était déjà une véritable révolution juridique, mais ce mouvement n’était pas censé s’arrêter à ce stade.

[1] Coran 4 :1 ; 6 : 98 ; 7 : 189…
[2] Coran 2 : 228.

Coran, clés de lecture – Tareq Oubrou – Fondapol Janvier 2015 – p29/30

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