(…) contrairement à ce que pensent beaucoup d’observateurs, l’effervescence religieuse que l’on perçoit dans le monde musulman depuis les années soixante dix, n’est pas vraiment le signe d’une véritable renaissance de l’islam ; mais présente plutôt les symptômes d’une agitation violente qui précède une agonie. Ce n’est pas un début de quelque chose, mais la fin de ce qui reste de l’effondrement de la civilisation arabo-musulmane.
Sans vouloir être dans la peau d’un sauveur, loin de là, nous pensons avec prudence intellectuelle que le début du remède à ce risque potentiel d’implosion religieuse se trouve dans deux mots clés : le paradoxe et le doute. Leur introduction dans l’économie intellectuelle et spirituelle de l’islam permettrait d’effectuer un saut qualitatif qui passe par une remise en cause radicale, qui fait sortir l’esprit musulman de l’ennui, de la routine des habitus cognitifs et des autosatisfactions trompeuses.
C’est cette remise en cause, la même, que ne cesse, pourtant, de rappeler le Coran, dans plusieurs de ses passages. «… Et ils dirent que nous allons suivre la croyance -religion- de nos parents. Et si leur parent ne savaient -ne raisonnaient- pas et s’ils étaient égarés ? » (2 : 170) ; et le Coran d’inviter l’esprit à réfléchir individuellement ou collégialement : « Je vous conseille une chose, mettez-vous en binôme ou individuellement puis réfléchissez ! » (34 : 46). Mais ce qui est constaté historiquement, c’est que malgré cet appel à la remise en cause, des pratiques et des croyances ont subsisté, comme à l’époque préislamique, participant alors dans leur logique du même suivisme et de la même déraison.
Cette déraison n’est d’ailleurs pas moins redoutable pour la foi qu’une certaine rationalité excessive, fictive. En effet, concordiste, scientiste et malgré sa modernité, cette rationalité reste d’une apologétique aussi discutable, en faisant la promotion d’un islam dont la cohérence serait impeccable, comme si la religion pourrait être emboîtée dans une logique mathématique d’une complétude irréfutable. Comme le littéralisme -ironie de l’histoire- cette lecture « rationnellement » cohérente conduit le plus souvent à un autisme mental, qui empêche de voir le réel, lequel est souvent insaisissable et inattendu. À commencer par l’Homme lui-même, dont l’éthogramme et l’intelligence sont les moins prévisibles parmi les êtres vivants.
Et on ne le sait que trop bien -par le passé comme par notre actualité brûlante- que la cohérence en matière des idées peut devenir une logique fermée sur elle-même et devenir une idéologie fanatique, totalitaire et mortifère. Il faut donc se méfier des systèmes de pensée parfaits et achevés. Aussi, la cohérence d’une argumentation, sophistiquée soit-elle, n’est-elle pas synonyme de vérité. Car tout simplement les choses de notre monde sont d’une simple imperfection, parfaitement et volontairement divines, parce que programmées pour être infiniment compréhensibles ou bien infiniment incompréhensibles ! (…)
Tareq Oubrou – 2017
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