lundi, novembre 25 2024
(…) permettez-moi de revenir une dernière fois à la formulation de notre règle canonique : « L’intégration des lois de la République dans l’économie canonique de la sharia ». Je soulignerais ici que beaucoup de règles canoniques liées à la sharia, particulièrement en matière de relationnel (mu’âmalât) qu’il faudrait distinguer du culte (‘ibâdat), partent de la réalité de la communauté et de la société. C’est le cas de cette règle.
– Mais, concrètement, qu’est-ce que cela implique ?
Et bien, je vous donnerai un seul exemple pour sortir de l’abstrait : le mariage des musulmans en France. La majorité des musulmans croient que le mariage relève du rite et qu’il doit être effectué dans une mosquée pour être consacré et béni par un imam. Le paradoxe, c’est que, quand il s’agit du divorce, ils ne viennent plus voir l’imam et se séparent dans des conditions qui ne respectent parfois aucune règle ni éthique ni juridique. Or le mariage en islam est classé dans le registre du droit relatif aux contrats et aux obligations, et non dans la catégorie des rites (tels que la prière, le jeûne…). Cette distinction nous livre déjà l’embryon d’une certaine sécularisation, interne à la sharia, mais qui nous donne cependant un élément de discernement entre les différents registres de l’islam et la séparation des ordres dont il est capable.
Ainsi, plusieurs modalités de mariage (zawâj) sont-elles proposées dans les ouvrages classiques du canonisme, des plus souples ou plus contraignantes. Aucune ne stipule qu’il doit s’effectuer devant un imam, ni dans une mosquée. J’ajouterai ici, c’est que, dans une perspective d’orthopraxie minimaliste, comme conséquence du principe de « contraction de la sharia », ce contrat qui est moral avant d’être juridique, sera réduit dans notre contexte aux conditions éthiques minimales : le consentement libre et mutuel des deux parties, deux témoins ou une déclaration publique.
– Et qu’en est-il de la dot, par exemple, dans ces conditions ?
Quant à la dot, elle est donnée à la femme par l’homme si elle le souhaite, sachant que la dot (sadaq) ne fait pas partie des piliers (arkân) du contrat de mariage. C’est l’avis d’une partie des canonistes, et c’est notre choix, surtout quand l’on sait que le principe de cette dot provenait d’une culture préislamique où elle ne bénéficiait pas à la femme, mais revenait à sa famille, son père notamment. Le Coran est venu restituer la dot à la femme. Ce faisant, il a adopté le système de la dot, mais surtout il l’a adapté afin de donner à la femme un droit, celui de l’arracher à ce statut de marchandise qu’on achèterait à son père ou à sa famille. En France, en Occident, la dot ne fait plus partie de la culture : dès lors, si la femme ne l’exige pas, on a pas besoin de la susciter, ou de la ressusciter.
Le mariage est donc un contrat moral, mais qui suppose l’existence d’un sentiment d’amour. Cependant, cette union devra trouver une forme juridique française qui garantirait les droits et les devoirs des deux époux et ceux de leurs enfants. (…)
– On constate cependant de nombreuses problématiques liées au mariage religieux « sauvage », qui devient plus une sorte de « chèque en blanc » pour s’autoriser des relations sexuelles en toute bonne conscience, sans aucune garantie pour les « époux » en cas de « divorce », par exemple. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement ! Par expérience, je constate qu’il y a beaucoup d’abus, en ce domaine, dans le vécu de la communauté musulmane. Le mariage civil, qui n’est pas une obligation dans le droit français pour toute forme d’union, peut cependant garantir certains droits, et je le conseille fortement. Car, comme pour toute entreprise d’union de ce genre, les deux époux peuvent mentionner des closes, et pour cela ils peuvent les notifier devant notaire. Cette perception du mariage n’est pas celle de certains musulmans qui veulent se contenter uniquement d’un « mariage religieux » devant Dieu, comme ils disent, une union sans responsabilité et donc sans conséquences juridiques. Ce type de « mariage éthique » pourrait être considéré dans certains cas comme un « mariage clandestin ». Il est « consacré » par un imam qui lui-même pourrait être un imam clandestin, c’est-à-dire sans mosquée, ou encore un pseudo-imâm ou le « chef spirituel » informel d’un groupe. Là, on peut vraiment parler d’une bid‘a, une innovation blâmable, une hétéropraxie, qui introduit dans le rite un acte qui n’en relève pas.
Le mariage en islam se fait devant Dieu, disent certains musulmans. Oui, mais pas devant un imam. D’ailleurs, je n’ai jamais compris vraiment cette allégation. Comme si Dieu était absent des autres domaines de la vie du croyant. Le mariage se fait surtout devant la société, et au sein de ses institutions. Mais c’est vrai que la notion de « mariage » en islam peut donner un aspect très libéral à cette religion, pour ne pas dire libertin et irresponsable. Et cela peut déboucher effectivement sur des aspects très pervers tels que ceux que vous mentionnez. Ce type d’union peut véritablement cacher une mauvaise foi. Il permet, par exemple, à l’homme de se marier avec plusieurs femmes et d’en répudier à son bon vouloir, sans contrainte juridique, profitant de la naïveté de certaines musulmanes ou non, d’ailleurs. Nous connaissons des cas qui frôlent le vagabondage sexuel mais « islamiquement » bien couvert. D’autres fois, c’est l’homme lui-même qui en est la victime, car une fois la femme enceinte, celle-ci peut refuser l’attribution à l’enfant du nom de son père biologique, et qui pourrait être à juste titre son père légitime éthiquement, mais pas juridiquement. On peut toujours trouver des fatwas et des avis canoniques qui légalisent islamiquement ce type d’union. Ce n’est pas mon avis. Ceci étant, le passage devant le maire suffit pour que cette union soit un « mariage islamique ». Sinon le PACS est aussi un cadre d’union concevable.
Bref, le passage devant l’imâm et à la mosquée n’est pas obligatoire, si ce n’est pour des raisons symboliques ou affectives, mais pas canoniques. Il doit s’effectuer, si on en manifeste un grand désir, après le passage devant le maire, comme l’exige le droit français et pas avant.
Voilà un exemple qui illustre quelque peu ce que j’entends par « l’intégration des lois de la République dans le métabolisme de la sharia ». Je pourrais également évoquer ici les conflits entre musulmans, tels que je les observe chez ceux qui viennent à mosquée pour tenter de régler leurs conflits devant l’imam, comme s’il était un qâdî, encombrant sa fonction, déjà floue, et transformant ainsi les mosquées en tribunaux confessionnels informels. Or, le statut canonique du qâdî est exclu par la sharia de minorité dans notre contexte laïque, même si la République le maintient encore à Mayotte (TOM), où il existe encore un droit local et coutumier musulman – ce qui constitue d’ailleurs un des paradoxes de la laïcité. L’imam se doit de renvoyer les musulmans aux magistrats de la République en cas de conflits. Il n’a pas à trancher dans ces conflits, ni à déclarer des sentences et des jugements, même au niveau moral. Il peut être un médiateur entre les gens, donner des conseils, des fatwas, mais n’a aucun pouvoir moral, encore moins juridique, sur les musulmans.
Profession Imam – Edition Albin Michel 2009 – p47 à 50

Le mariage, un pacte solennel

Le Coran (4 : 21) parle d’un pacte solennel (mîthâq ghalîdh), scellé entre l’homme et la femme. Le sentiment d’amour y est nécessaire, mais il ne permet pas toujours au couple de résister aux tempêtes de la vie contemporaine, de plus en plus instable, avec des connexions et des frottements multiples avec un réel qui se confond avec un virtuel déroutant. Le Coran (30 :21) parle plutôt de tendresse (mawada) et de Miséricorde (rahma). C’est peut-être parce que ces deux notions sont plus authentiques qu’un simple sentiment charnel ou une simple attirance physique, sauf dans le cas où ce sentiment d’amour intègre la tendresse et la miséricorde. À ce niveau sémantique il ne faudrait pas confondre amour et sexualité. Néanmoins cette dernière demeure importante, car un minium d’affinité sexuelle peu contribuer à assurer une stabilité dans le couple. Mais elle n’est pas suffisante. D’autres facteurs sont indispensables pour réussir et entretenir le couple : avoir un projet de vie commun construit autour d’un minimum de culture et de tradition partagées (ce que les malikites appellent al-kifâya) mais surtout un accord commun sur une lecture globale de la religion. Ces facteurs, entre autres, sont aussi des préliminaires essentiels pour l’éducation des enfants.

La notion de la « famille musulmane » : à-t’elle un sens? Mizane info 2018 – Tareq Oubrou
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