lundi, octobre 14 2024

La morale et le droit (al-mu‘âmalât)

Ce niveau comporte deux sous- catégories : l’éthique et le droit. Par morale, ou éthique, il faut entendre l’ensemble des règles de conduite individuelle. Dans ce domaine, contrairement à ce qui se passe dans celui du culte, on doit chercher la raison de l’obligation ou de l’interdit. De ce fait, la marge laissée à l’interprétation est considérable et intègre plusieurs variables : la tradition (al-‘urf), la nécessité (ad-darûra), le besoin (al-hâja), l’utilité (al-maslaha)… Avant d’appliquer une loi éthique ou juridique, on doit en déterminer la raison (‘illa), les finalités (maqâsid), les conditions d’application (shurût), et surtout ne pas perdre de vue le principe d’utilité (maslaha).

Ce niveau de la sharia est crucial dans la situation laïque, car le rapport avec l’islam se résumera essentiellement à cette dimension : la conscience propre et libre de chaque musulman. Le concept de droit renvoie en général à l’existence d’un système coercitif qui veille à son application : tribunaux, juges… et code pénal. Notons d’emblée que, même dans le droit médiéval musulman, le code pénal ne s’applique pas aux musulmans en « terre non musulmane ».

La notion centrale ici est celle de « permission originelle » : tout comportement ou tout produit est permis ou toléré par la sharia tant qu’il n’existe pas d’interdiction formelle. L’interdiction est l’exception et non la règle1. Une fois posées ces bases, il est intéressant d’évoquer la notion de « sharia de minorité2 » et son paradigme clé, l’« éthicisation de la sharia ». Il s’agit d’une posture canonique qui renvoie au droit français dans le domaine des contrats de mariage, du divorce, etc., et qui permet aux musulmans d’être dans une double conformité : conformité éthique musulmane et conformité juridique française.

Avec cette contraction de la sharia aux champs du rite et des options éthiques individuelles s’exprimant dans le cadre de la Constitution et du droit français, on peut parler d’une « sharia fractale » : les dimensions, les contours et les limites de cette sharia sont définis par le contexte, en l’occurrence le contexte laïque français. Bref, le droit des musulmans est le droit français.

1. Règle établie par Ash- Shâfi‘î. voir Ahmad bin Muhammad al-Hamawî, Ghamz ‘uyûn al- basâ’ir, commentaire de Ibn Najîm, Al-ashbâh wa an-nadhâ’ir, t. 1, § 91, p. 223.
2. Le mot minorité ici n’a aucune dimension démographique. C’est un concept canonique qui émancipe la sharia de sa dimension coercitive, le droit, et brise cette perception d’une sharia qui ne pourrait être pensée que dans les pays d’histoire et de tradition musulmanes. Aujourd’hui, tout le monde doit se penser selon un paradigme de minorité, car la mondialisation a créé une situation où tous les systèmes politiques, religieux, civilisationnels et culturels se trouvent minorés de fait. voir notre contribution « La char‘ia et/dans la laïcité », Archives de philosophie du droit (Dalloz), t. 48, 2005, p. 157-167.

Ce que vous ne savez pas sur l’islam – Tareq Oubrou – Edition Fayard 2016

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