jeudi, novembre 21 2024

Réformer l’islam est nécessaire, abstraction faite du terrorisme qui frappe ­notre pays. En principe, cette ­réforme incombe aux religieux, qui doivent être doublement érudits : versés dans les sciences religieuses classiques et dans les sciences contemporaines. Cette réforme religieuse ne part pas de rien. Elle s’inscrit dans une tradition qui remonte au Prophète.

Ce qui est valable pour la ­réforme de l’interprétation de l’islam est valable, raison de plus, pour l’institution religieuse ­représentative. Le culte doit être représenté par un consistoire constitué de religieux français avec des conseillers dans différents domaines. Actuellement, la représentation du culte musulman de France est marquée par des considérations liées indirectement aux pays d’origine et constituée d’acteurs associatifs et non pas de religieux.

Se tromper de contexte et d’époque, c’est se tromper d’interprétation et de religiosité. En effet, l’herméneutique fondamentale consiste à interpréter les textes sacrés dans leur contexte d’origine, ce qui permet déjà de relativiser leur charge ­sémantique. La deuxième approche, plus concrète, est une herméneutique appliquée. Elle consiste à comprendre et à pratiquer les enseignements scripturaires ici et maintenant.

Pour cela, une bonne interprétation de la condition française est un préalable à celle des textes. A ce niveau d’herméneutique ­appliquée, il y a deux degrés d’adaptation de l’islam de France. Le premier consiste à ajuster les pratiques musulmanes visibles dans le cadre du droit. A ce titre, le droit français est le droit des Français de confession musulmane. On n’a pas entendu les musulmans de France revendiquer un tribunal confessionnel spécifique. Toutes leurs pratiques musulmanes s’effectuent dans le cadre de la Constitution et du droit. Quand il y a eu interdiction des signes religieux dans les écoles et de la burkadans l’espace public, les musulmans s’y sont pliés.

« Théologie préventive »

Cependant, la culture et l’identité nationale sont parfois plus normatives. Il ne suffit pas d’ajuster la visibilité de l’islam pour qu’elle soit conforme au droit et ainsi réaliser l’intégration des musulmans. Il faudrait convoquer une autre notion : la « théologie d’acculturation ». Elle passe par la « théologie de l’altérité ».C’est-à-direintroduire dans l’économie de la théologie et du droit canon musulman la perception d’une société sécularisée marquée par l’histoire d’une laïcité qui reste à dominante culturelle catholique.

Beaucoup d’imams étrangers sont plus modérés que certains imams français de la deuxième génération

Il faut aussi intégrer la « théologie préventive », qui prend en ­considération l’élément psychologique, voire psychanalytique, afin d’éviter l’impact négatif d’un texte religieux s’il reste suspendu sans être accompagné d’une interprétation appropriée. Cette « théologie préventive » comme matière à intégrer dans la formation des imams peut contribuer à prévenir la radicalisation.

Si la laïcité a émancipé l’Etat de la loi religieuse, elle protège les religions de l’ingérence du politique. Mais lorsqu’une autorité politique demande aux musulmans de réformer leur religion, elle commet une entrave au principe de laïcité. Demander aux musulmans de France de respecter ­l’égalité hommes-femmes, c’est donner l’impression que les musulmans de France vivent dans un autre pays. Or ils sont à l’image de leur société française. On ne ­demande pas aux catholiques d’introduire dans leur droit canon et leur ecclésiologie l’égalité hommes-femmes en matière de désignation de femmes pour la fonction de prêtrise. On a le droit de ne pas être d’accord avec une religion tant que ses pratiques ne s’opposent pas au droit français.

Mal-être

Pourquoi désigner les mosquées uniquement ? Alors que d’autres cultes, comme l’Eglise orthodoxe, bénéficient de financements venant de la Russie. Ce qui doit importer à l’autorité publique, c’est le contenu du discours, la nature des pratiques et des enseignements. Toute étude qui prêche la haine, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, la violence doit tomber sous le coup de la loi.

Dans les faits, les grandes mosquées financées par des Etats étrangers sont classées parmi les « mosquées modérées ». Aussi, il ne suffit pas de construire une mosquée avec l’argent des fidèles pour que celle-ci soit « modérée », ni que l’imam soit formé en France pour être forcément un imam modéré. Beaucoup d’imams étrangers sont beaucoup plus modérés que certains imams français de la deuxième génération pourtant formés en France.

Aujourd’hui, c’est l’organisation Etat islamique, demain ces jeunes pourraient adhérer à une autre fausse cause tant qu’elle s’inscrit contre leur société

Réformer l’islam, oui, mais croire que cela va éradiquer la radicalisation chez les jeunes, c’est se faire des illusions. C’est même faire diversion pour ne pas voir les causes profondes de ce phénomène. La radicalisation comme processus préliminaire au terrorisme s’explique en premier lieu par un mal-être dont souffrent certains individus mal installés dans la société.

Leur recrutement procède par prélèvement scripturaire sélectif et démagogique à visée géopolitique en premier chef. Au fond, cet embrigadement ne l’est pas vraiment, car l’allégeance que ces jeunes prêtent à ce fantôme de l’organisation Etat islamique par le biais du virtuel n’est qu’un alibi pour se venger de leur société.

Aujourd’hui, c’est l’organisation Etat islamique, demain ces jeunes pourraient adhérer à une autre fausse cause tant qu’elle s’inscrit contre leur société. On leur demande de respecter les valeurs de la République, lesquelles valeurs, parfois, ne sont pas respectées par ceux qui sont censés les défendre et les incarner.

Ce radicalisme est le résultat d’un échec d’intégration par le scolaire et le travail, d’une démission des parents et d’un manque d’affection à cause de l’effritement des liens familiaux. C’est un phénomène qui concerne tous ceux qui ont une responsabilité éducative, politique, médiatique, religieuse. Que chacun assume sa part de responsabilité.

 LE MONDE | 03.08.2016 Par Tareq Oubrou

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