Selon la théorie de l’évolution, l’homme descend d’un primate supérieur. Selon la Bible, la femme descend de l’homme. On pourrait en déduire que la femme est plus évoluée que l’homme : ce serait le dernier venu au monde qui serait le plus accompli.
L’antécédence chronologique ne serait plus synonyme de supériorité. Pourquoi ne pas lire la Genèse de cette manière ? Une telle conclusion serait pour le moins contraire aux croyances répandues. Cette question est inévitablement métaphysique. En islam, la théologie ne donne aucun privilège symbolique à l’homme aux dépens de la femme, alors que, dans le christianisme, l’incarnation de Dieu en l’homme pourrait laisser penser le contraire. Nous avons déjà vu que, selon le Coran, Dieu ne s’est pas fait homme, masculin, à travers une quelconque kénose[1]. Asexué, il est resté dans son apothéose : ni féminin ni masculin. La Bible retrace une chronologie de la Création qui commence par Adam, suivi d’Ève[2]. Le Coran ne reprend pas cette chronologie, pas plus que les passages où Ève semblerait avoir été créée pour tenir compagnie à Adam. Elle n’est pas non plus son appendice, car elle n’est pas issue de sa côte (os), ni même de son côté (os et chair), comme le soutiennent d’aucuns pour éluder la question de la subordination d’Ève à Adam. Dans le Coran, l’être adamique primordial serait sexuellement amorphe et anatomiquement ambivalent. Il contiendrait déjà les deux genres. Asexué, à l’image de Dieu[3], il aurait ensuite donné deux êtres sexués par une sorte de « mutation génétique » ou de « fissiparité différenciée ».
L’homme et la femme sont issus d’une même nature (nafs wâhida), dit le Coran[4], mais constituent deux entités sexuellement complémentaires. Une âme identique, mais dans deux corps différents. Cette identité de l’âme[5] voudrait dire qu’il n’y a pas de différence d’affect, de spiritualité ou d’intelligence selon le genre et l’ethnie, même s’il existe des différences biologiques. Sur le plan moral, le Coran ne fait pas non plus allusion à une quelconque essence pècheresse d’Ève – qui serait par nature alliée à Satan (le serpent) pour conduire Adam à la faute, comme le rapporte la Genèse[6] –, ni à l’accouchement dans la douleur infligé comme punition pour cet acte[7]. Selon le texte sacré des musulmans, Adam et Ève furent tentés par Satan en même temps, péchèrent en même temps, se repentirent, puis furent pardonnés. L’histoire s’arrête là : aucune dissertation théologique sur un quelconque péché ontologique ou originel révélé par une femme.
À ce niveau métaphysique, donc, il y a une claire et évidente égalité spirituelle, intellectuelle et morale entre l’homme et la femme. Cela ne clôt toutefois pas la question, car le droit canonique issu du Coran et de la Sunna révèle, lui, des inégalités qui sont tout aussi évidentes.
1. Le terme kénose, dans la religion chrétienne, renvoie au fait que Dieu se dépouille de Ses Attributs divins parfaits par un abaissement pour endosser ceux de l’être humain dans toute sa faiblesse et toute son imperfection.
2. Genèse (1:26-27) ; (2:7-9) ; (2:21-24).
3. Cette expression se trouve dans la Genèse, et elle est reprise dans un hadith du Prophète rapporté par Bukhârî et Muslim.
4. Coran (4:1) ; (6:98) ; (7:189) ; (39:6).
5. L’âme est parfois confondue avec la notion d’esprit. Dans la tradition musulmane, elle est une composante subtile et métaphysique de l’être humain – lieu de la pensée, des sentiments, de l’expérience spirituelle, etc.
6. Genèse (3:1-24).
7. C’est pour cette raison que certaines chrétiennes refusent la péridurale.
Ce que vous ne savez pas de l’islam – Tareq Oubrou – Édition Fayard 2016- p137 à 140