Pour mieux comprendre le discours coranique sur l’égalité des hommes et des femmes, il faudrait d’emblée faire la distinction entre l’égalité ontologique et l’égalité juridique. La première est théorique, la deuxième compose avec la réalité historique. C’est ce qui explique deux niveaux de discours du Coran en la matière.
L’égalité ontologique et métaphysique
Le concept d’égalité entre les hommes et les femmes tel que nous l’entendons aujourd’hui est très récent, et son histoire n’est pas encore finie.
A supposer que la notion d’égalité est claire, le fait de lire avec nos yeux d’Occidentaux et à partir de notre condition moderne, une inégalité entre les hommes et les femmes dans le Coran serait commettre un anachronisme. Cela conduirait à une erreur théologique qui donnerait l’image d’un Dieu injuste d’après le Coran. Pourtant dans le Coran il s’agit d’un Dieu qui ne s’est pas fait homme, masculin. Il n’est ni du côté de l’homme ni de la femme. Mais les deux unis ont été créés à Son image. Il n’y avait en effet au départ qu’un être que j’appellerais «être métaphysique adamique, primordial et asexué».
En effet, le récit du Coran ne suit d’ailleurs pas celui de la Bible comme il est rapporté dans la Genèse. Celle-ci trace une chronologie de la création qui commence par Adam puis Ève. Celle-ci créée pour Adam afin de lui tenir compagnie. Dans le Coran, tous deux sont issus d’un même être, d’une même âme, mais dans deux corps différents. Eve n’a pas été créée pour tenir compagnie Adam, encore moins son appendice (venant de sa côte comme dans la Bible). La Sunna nous informe que l’âme déposée dans l’homme et la femme est de même nature asexuée. Et c’est cette même âme qui, aux yeux des Textes, donne la noblesse à l’homme et à la femme. Et donc il n’y a pas de spiritualité ni intelligence masculine ni féminine, même si le biologique est un peu différent. Aussi n’y a-t-il pas non plus la faute d’Adam induite par Eve, laquelle serait complice de Satan. Le Coran reste laconique en la matière : les deux furent tentés par Satan en même temps et péchèrent en même temps. Pas de péché originel à cause de la femme. Les théologiens n’ont jamais discuté l’égalité spirituelle et morale entre l’homme et la femme.
L’égalité pratique et juridique
Si l’égalité est un principe théologique, métaphysique, ontologique et même éthique, soulignée par les Textes de l’islam, il reste néanmoins humainement impossible à réaliser totalement sur le plan réel et juridique, sociologique, historique… En particulier dans le contexte du moment coranique – qui n’a rien à voir avec notre condition désormais postmoderne.
Cet aspect pratique, juridique et concret, du Coran a été en effet pris en considération par d’autres Textes qui pourraient nous choquer aujourd’hui et qu’on attribut à la charia, un terme aujourd’hui galvaudé, comme si la charia est une application mécanique et à la lettre, voire absurde, des Textes. Or les Textes principiels soulignent d’un coté l’égalité ontologique et spirituelle des hommes et des femmes ; d’un autre côté, d’autres Textes circonstanciels cette fois-ci traduisent ce principe dans un juridique ou un normatif lié à un moment particulier de l’histoire. Ce dernier aspect pratique ne pouvait être mieux formulé dans un contexte tribal et patriarcal et où l’économie était liée à un travail essentiellement physique et donc masculin, ce qui mettait de fait les femmes à l’écart du circuit du pouvoir politique, économique… En conséquence de quoi, elles ne pouvaient avoir une grande indépendance par rapport à l’homme dans un tel contexte. C’est ce qui explique par exemple la distribution coranique de l’héritage, etc.
C’est cette configuration anthropologique qui explique la disposition différenciée entre hommes et femmes dans les statuts de l’ordre social et relationnel, mais aucunement dans l’ordre spirituel et cultuel. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. La technologie, entre autres, a permis aux femmes de travailler, même si la parité est loin d’être atteinte. Cette nouvelle situation convoque dès lors, selon moi, un déplacement de ces normes coraniques vers des formes éthiques concrètes adéquates à la condition de la femme aujourd’hui. Car il n’est pas une obligation coranique de reproduire toutes les formes juridiques du Coran, mécaniquement. Il faut au contraire conserver l’esprit du concept d’égalité et le traduire adéquatement dans notre contexte.
Pour illustrer cette subtilité théologique je donnerais l’exemple du divorce : « parmi les choses que Dieu a rendues licites – tout en Lui étant la plus détestable – il y a le divorce », nous dit un hadîth. Ce qui signifie que la loi ne reflète pas forcément l’idéal conforme au Vouloir divin. Et que la réalité impose parfois des concessions réalistes.
Dès lors, confondre systématiquement la norme coranique avec un vouloir absolu de Dieu qui aurait approuvé les situations et la condition des hommes et des femmes d’alors est une erreur théologique et de conséquence grave.
Il s’agit tout simplement d’une prise en considération d’un modèle anthropologique et non sa canonisation. Le procédé intégriste, lui, consiste à vouloir reproduire la société de l’époque du Prophète – ce qui est impossible – pour lui appliquer à la lettre les enseignements du Coran, à supposer que la lettre du Coran fut un jour appliquée totalement même à cette époque.
Pour exprimer cette problématique générale en métaphore galénique nous pourrions dire que le propre de l’intégrisme, le mal qui guette notre siècle, est de confondre le principe actif des enseignements du Coran avec ses excipients et ses adjuvants culturels du moment coranique qui sans lesquels le message coranique ne saurait être audible et recevable pour le contexte de la Révélation. Au lieu de reproduire l’esprit et la méthodologie du Coran pour le traduire sous une forme nouvelle et contemporaine cette forme d’intégrisme veut reproduire un contexte abrogé par l’histoire pour lui faire correspondre la lettre du Coran. L’origine de cette inversion de procédé d’interprétation des Textes est dû à une posture nostalgique et passéiste, un malaise qu’éprouvent d’aucuns à l’égard de leur époque, mal installés dans leur monde.
Tareq Oubrou – 2015