Mahomet, Prophète, mais aussi homme de son temps
Le Coran s’adresse à plusieurs publics différents. Le premier destinataire est le Prophète. C’est à lui que le Coran parle en premier, et ensuite au reste de ses contemporains avec leurs différentes typologies. De par sa mission apostolique et son statut théologique singulier, le Prophète a des obligations qui n’incombent qu’à sa personne, comme celles des prières de nuits[1], ainsi que la transmission du message coranique… En vertu de ce statut particulier – ce qui va particulièrement nous intéresser –, le Prophète lui-même reçoit parfois un enseignement coranique et son contraire, comme ce passage qui l’autorise à choisir ses épouses[2], suivi d’un autre qui le lui interdit. Que comprendre ? Là, le littéraliste ne peut qu’être pris de vertige. Livré à lui-même, il ne peut en sortir que déboussolé. Son esprit sera brisé sur l’écueil du paradoxe engendré par ces deux passages diamétralement opposés. Il n’y a qu’une solution. Recourir au principe d’abrogation lorsque deux textes énoncent deux lois inconciliables[3], l’abrogeant venant toujours chronologiquement après l’abrogé. Or le Coran n’est pas ordonné en fonction d’une quelconque chronologie. En effet, celui qui lui interdit de choisir ses épouses vient dans le texte après celui qui l’y autorise. D’où une deuxième difficulté. Pour la lever, il a fallu se référer à d’autres textes. On en appelle alors aux paroles d’Aïcha, épouse du Prophète, qui indiquent que, contrairement à l’ordre des versets, c’est la permission qui abroge l’interdiction[4]. Et pourtant, le Prophète s’est contenté des épouses qu’il avait déjà par le biais de la révélation[5], et ce, jusqu’à sa mort. Il a donc appliqué l’abrogé et non l’abrogeant, l’interdiction plutôt que la permission. D’un point de vue herméneutique, pour un littéraliste primaire, c’est un peu déroutant. La seule femme que le Prophète ait choisie lui-même était Khadija, son aînée de vingt-cinq ans, avant qu’il ne soit devenu Prophète, vers l’âge de 40 ans. Il est resté monogame jusqu’à la mort de celle-ci, et ce, jusqu’à ce que la mission lui ait exigé le mariage avec plusieurs femmes pour établir un lien avec le maximum de tribus comme il était alors d’usage et selon l’un des codes de l’anthropologie d’échange de dons lié à ce contexte, pour évoquer un concept de Mauss. Mahomet était un homme de son temps, il nous faut toujours nous en souvenir. La culture de Mahomet lui a imposé, comme tout un chacun, certaines de ses normes. Nous avons la trace de cet état de fait dans le Coran. Que ce soit dans le domaine de l’esclavagisme, de celui du mariage avec des captives ou d’autres pratiques aujourd’hui choquantes, le Coran n’a fait que composer avec l’esprit de son temps. Il est important de souligner ce fait et d’en conclure que tout ce qui a été toléré par le Coran ou pratiqué par le Prophète n’oblige pas forcément le musulman d’aujourd’hui, qui doit intégrer les normes culturelles de son milieu et de son époque comme l’ont fait le Coran et le Prophète avec les leurs.
1. « Ô toi le drapé [Mahomet], lève-toi et prie toute la nuit, excepté une petite partie, sa moitié ou un peu moins ou un peu plus. Et psalmodie le Coran comme il se doit. Nous allons te révéler des paroles lourdes – de conséquences. La prière de la nuit est plus efficace et plus propice – pour la psalmodie », Coran (73, 1-6).
2. « Il n’y a pas de reproche à te faire si tu choisis de faire attendre celle que tu voudras épouser ou bien d’accueillir dans ton foyer celles parmi [les femmes] que tu voudras. […] Il ne t’est permis désormais aucune femme ni d’en changer même si leur beauté te plaît […] », Coran (33, 51-52).
3. « Il n’y a pas de versets que nous abrogions ou que nous fassions oublier – ou différer – sans apporter un autre verset encore meilleur ou équivalent », Coran (106).
4. Rapporté par Abu-Dawûd, Nisaï via Aïcha, in Jâmi’u al-usûl d’Ibn al-Athîr al-Jazarî authentifié par Al-arna’ût, maktabat alhalwânî, matbaat al-malâh et maktabat dâr al-bayân, 1969, no 769, p. 321.
5. Comme le souligne le verset abrogé qui lui interdit de choisir par lui-même ses épouses, Coran (33, 5).
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon 2019 – p29 à 33