mardi, avril 16 2024
Nous avons vu que la Loi est seconde par rapport à la foi. La Loi n’occupe dans la masse scripturaire globale qu’une place minime. Parmi les 6 236 versets du Coran, 150 versets seulement contiennent des lois[1]. Soit 2 % du Coran. Les hadiths, qui sont censés expliquer le Coran et donc par nature contiennent de nombreux détails, ne sont que cinq cents hadiths normatifs [2] parmi des dizaines de milliers[3]. De plus, tous les hadiths du Prophète ne sont pas considérés comme unanimement authentiques, et tout ce qui est authentique ne relève pas forcément d’une révélation, et tout ce qui est révélé n’est pas systématiquement absolu. Ce qui laisse encore plus de marge de manœuvre. Quand on parle de la loi musulmane, on parle de trois domaines : le culte, la morale et le droit. Plus on passe du culte au droit, plus le nombre de versets et de hadiths de loi diminue. L’immense majorité du corpus scripturaire normatif concerne les pratiques cultuelles.
Avec l’expansion de l’islam, les juristes ont développé un droit impérial prolifique et pluriel afin de gérer un empire qui s’étalait sur trois continents et qui contenait en son sein des cultures et des réalités diverses. Ils forgèrent des doctrines d’interprétation et des méthodes multiples de productions nouvelles de la norme d’une grande sophistication afin de répondre à des situations inédites méconnues du moment coranique.
Treize siècles de production juridique ont abouti à un corpus législatif énorme comme un Talmud multiplié par dizaines de milliers. La plupart de ces lois sont aujourd’hui obsolètes. Cette nécessité législative, justifiée historiquement, ne l’est plus aujourd’hui. L’islam n’est plus un empire, il n’est même plus un État. En tout cas, il ne devrait plus l’être. Néanmoins, il ne faut pas liquider dans sa totalité ce riche corpus canonique, qui contient certainement des aberrations, mais il convient de s’en inspirer pour lui donner une forme contemporaine. C’est ce que nous entreprenons en le déconstruisant et non en le détruisant. Nous lui empruntons néanmoins une distinction pertinente qui nous intéressera particulièrement, qui est la double taxinomie de la loi : cultuelle (‘ibâdate) et relationnelle (mu’âmalâte).
La première relève du domaine vertical, celui du culte : les cinq piliers de l’islam. Il s’agit de pratiques pour lesquelles il n’y a pas de pourquoi intelligible comme : le pourquoi du nombre cinq et non un autre nombre, pour les prières canoniques ; le pourquoi du jeûne spécialement pendant le ramadan, neuvième mois lunaire, et non pas un autre mois, et pourquoi ne pas jeûner quarante jours ; le pourquoi du nombre exact de sept circumambulations autour de la Kaaba[4] à La Mecque lors du pèlerinage, et non pas douze, par exemple, etc. La raison en est qu’il s’agit de gestes inintelligibles et de langages symboliques, comme une entrée en communication avec la transcendance.
Des pratiques liées à des temporalités spirituelles cycliques fixes, comme tout rituel. Dans ce domaine, on parle du principe d’« interdiction originelle », dans la mesure où il n’est pas permis d’inventer de nouveaux rites en dehors de ceux qui sont déjà établis par les textes, car ils font l’unité symbolique spirituelle de la communauté des croyants au-delà de leur époque et de leur contexte. La seconde forme de la loi relève de deux domaines horizontaux : celui de la morale et celui du droit. Le docteur de la loi (faqîh) doit en chercher la raison (al-‘illa), les finalités (al-maqâsid), etc. Il y a par conséquent dans ce domaine une grande latitude pour le raisonnement discursif et rationnel (ijtihad). On y intègre les normes culturelles, contrairement au culte. Le principe qui préside à ces deux champs de la loi, la morale et le droit, est l’inverse de celui qui cadre le culte. Il s’agit cette fois-ci de « la permission originelle ». C’est-à-dire que tout est permis, sauf exception.
 
1. Jalâluddin Suyûty, Al-Itqân Fî Uulûm al-Qur’ân, Al-Maktaba al-’Asriyya, Beyrouth, 1987, t. IV, p. 35.
2. Mohammed Chawkâny, Irchâd al-fuhûl, al-Maktabat at-Tijâriyya, La Mecque, 1993, p. 419.
3. Le recueil de musnad d’Ahmed en contient 27 647 pour neciter que cet ouvrage.
4. Construction cubique au centre de la Mosquée sacrée de La Mecque, bâtie par Abraham et son fils Ismaël. Selon le Coran, elle est le premier temple dédié à Dieu.
 
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon – p115 à 118
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