Notre situation postmoderne est un renversement de l’Histoire, un tournant qui passe par une crise globale et systémique. Et nous avons du mal à réaliser les renversements et les retournements qui sont entrain de s’opérer devant nos yeux. En effet, si la caractéristique principale de la modernité était la sécularisation à tous les niveaux, la postmodernité, quant à elle, se caractérise par un mouvement contraire, celui de la désécularisation , pour ne retenir que cet aspect du phénomène.
La science qui était un moyen de sécularisation écartant l’esprit religieux des champs du savoir objectif et rationnel, aujourd’hui passe par une crise épistémologique sans précédents ouvrant des voies à des visions ésotériques de notre monde physique, comme la mécanique quantique. Le principe d’incertitude Heisenberg a contaminé les autres domaines du savoir. Gödel avec son théorème d’incomplétude et d’indécidabilité est venu mettre à mal le statut royal de la mathématique, considérée jusqu’alors comme mère des savoirs rationnels, la science exacte par excellence. Aussi, pensait-on que l’astrophysique moderne nous annoncerait définitivement la vérité cosmogonique de notre monde.
Mais voilà que le mur de Planck vient se dresser devant nous, nous empêchant d’accéder à la connaissance scientifique de l’origine de notre univers. En matière de biologie, le monde scientifique pensait qu’en découvrant l’ADN allait sonder les mystères de la vie. Il a même prétendu, un moment donné, être capable de la créer. Cette prétention fut déçue par le gouffre abyssal ouvert par ce même progrès scientifique. La complexité du vivant s’avère inouïe, insaisissable.
Le mystère de la vie reste donc entier. Dans cette tempête épistémologique, la théorie de l’évolution n’a pas été épargnée. Elle commence à souffrir de ses chaînons manquants qui se multiplient au fil de l’évolution de notre savoir scientifique (biochimie, biologie moléculaire, paléontogénétique…). L’ évolution, une théorie en crise, est le titre d’un livre qui résume bien cet état des lieux après un exposé brillant et objectif du darwinisme et de l’évolutionnisme en général .
En matière des sciences humaines on pourrait dire la même chose. Comme un défilé de mode, les tendances (anthropologiques, linguistiques, sociologiques,…) se succèdent et se réfutent les unes les autres. La philosophie positive qui avait pris la place de la métaphysique avec Nietzsche, Marx, Heidegger, Derrida… fait aussi un retournement spectaculaire, en quête de sens métaphysique. Et pour finir ce panorama des retournements, nous n’oublierons pas de faire constater que les systèmes politiques démocratiques et modernes ne se sont jamais aussi sentis fragiles et sans perspectives claires. Le politique se contentant de gérer le présent. Le paradigme est celui de l’irrationnel et de l’émotionnel.
Bref, la philosophie du progrès qui était la caractéristique principale de la modernité ne fonctionne plus. Elle est devenue source d’angoisse et d’inquiétude et source de politique qui prône l’application du principe de précaution et développe des logiques sécuritaires qui sont entrain de remettre en cause la démocratie et de censurer certaines libertés publiques. La promesse du bonheur terrestre et la sotériologie laïque annoncée par les religions séculières (systèmes, doctrines et idéologies philosophico-politiques) ne se sont pas réalisées. Ou plutôt se sont réalisées, mais seulement pour une catégorie des peuples, toujours les mêmes : les dominants. À ce niveau rien de nouveau sous le ciel de l’Histoire du Salut mondain. Les inégalités, les injustices, les guerres… restent, mais leur forme comme leur géographie se déplacent.
LE CORAN, OU LE MYSTERE D’UN SOUFFLE (RUH) – 2012 – Tareq Oubrou