Pour ce qui est de la tolérance occidentale, je dirais brièvement que Pierre Bayle (1647-1706) en est l’un des pionniers. Très tôt il a trouvé regrettable qu’Augustin soutienne l’idée que Dieu autorise dans sa parole les persécutions contre la religion[1]. Il répondait ainsi à des chrétiens qu’il qualifiait de « semi-tolérants » en faisant remarquer qu’« il serait inutile de prouver en particulier que les sociniens[2] sont dignes de tolérance, après avoir prouvé que les païens, les juifs, et les Turcs – musulmans – en sont dignes[3] ».
Ce souci d’entente entre les religions se comprend quand on sait qui est Bayle, un sceptique qui a oscillé entre catholicisme et protestantisme avec un sentiment réfractaire que caractérise un esprit minoritaire.
Il était plus tolérant que John Locke[4], et a été l’un des plus grands théoriciens occidentaux de la tolérance qui ouvrit la voie à Voltaire, etc.
Le même Bayle, qui n’a pourtant pas de sympathie particulière envers l’islam[5], ne voit pas pourquoi les « mahométans » seraient plus indignes de tolérance que les juifs. Au contraire, explique-t-il, puisqu’ils tiennent Jésus-Christ pour un grand prophète[6].
Cette vision est bienheureuse pour les musulmans, car elle est d’une grande actualité. En effet, je suis parmi ceux qui pensent que la proximité entre l’islam et le christianisme doit aller au-delà du simple dialogue interreligieux, vers une recherche d’une entente religieuse solide. Nous partageons la personne de Jésus mais, à cette « petite » différence près avec le christianisme, comme Verbe de Dieu qui s’est fait chair par création et non par engendrement.
La divergence au sujet de Jésus n’est qu’une nuance d’économie théologique des attributs de Dieu et pourrait être réduite pour permettre de trouver une forme d’oecuménisme. Un oecuménisme non syncrétique, cependant. Cela permettrait à ces deux religions de transcender ou d’atténuer leur concurrence et leur compétition au niveau de leurs doctrines respectives de salut. Si l’on réussit ce projet, alors il ne s’agira plus d’un simple dialogue islamo-chrétien, mais d’une réconciliation théologique islamo-chrétienne.
En tout cas cette ouverture sur les autres en général et sur le christianisme comme religion universaliste ainsi que l’est l’islam est théologiquement et théoriquement possible.
1. Ici, il fait allusion à son concept de « guerre juste », contre les hérétiques (Pierre Bayle, De la tolérance, édité par Jean-Michel Gros, Champion Classique, 2014, p. 167).
2. Adeptes du socinianisme, une doctrine réformiste de l’Italien Socin qui ne reconnaissait pas la divinité du Christ.
3. Pierre Bayle, De la tolérance, op. cit., p. 267.
1. Locke réserve le concept de tolérance aux différentes Églises chrétiennes. Il en exclut les athées et les mahométans (musulmans). (John Locke, Lettre sur la tolérance et autres textes, « Lettre sur La tolérance » (1986), traduction de Jean Le Clec, Flammarion, 1992, p. 206.)
2. Il écrit un livre sur Mahomet, un vrai concentré de préjugés qui donne une image sombre du Prophète de l’islam, une image qui a circulé depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. (Pierre Bayle, Mahomet, texte extrait du Dictionnaire et critique [5e édition, 1740] zone sensible, 2016, 71 p.)
3. Pierre Bayle, op. cit., p. 264.
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon – p255 à 257