samedi, avril 20 2024

Non seulement certains enseignements du Coran ne sont réservés qu’au Prophète et à sa famille, mais d’autres ne sont applicables qu’à l’époque du Prophète et dans son contexte. En aucun cas, ceux-ci ne sont universalisables dans l’absolu. Suivant l’exemple du Prophète, les savants ont estimé que certains préceptes du Coran étaient devenus caducs à leur époque.

L’exemple que nous citerons ici concerne la zakat[1], l’un des cinq piliers de l’islam. Parmi les huit destinataires nommés par le Coran figurent des personnes susceptibles de se convertir ou bien fraîchement converties à l’islam. Le deuxième calife, Omar, a décidé de l’annuler, purement et simplement. Il a jugé que cette disposition financière d’encouragement à l’islam était théologiquement liée au statut missionnaire et apostolique du Prophète, à une époque où l’islam était menacé et avait besoin d’acheter la paix en encourageant les conversions. Le même calife Omar, pourtant tout à fait orthodoxe, constatant les ravages de la famine, avait dû suspendre un moment la pratique de la zakat, afin de relancer l’économie.

Il faut rappeler que la zakat est quand même le troisième des cinq piliers de l’islam. Il vient après l’attestation de la foi et les cinq prières canoniques ; et avant le jeûne du mois de ramadan et le pèlerinage. Aussi, l’argent de la zakat utilisé pour affranchir les esclaves, pratique tombée en désuétude puisqu’il n’y a plus d’esclave. Sauf si l’on considère qu’il faudrait rétablir l’esclavagisme pour pouvoir appliquer cette disposition coranique à la lettre, ce qui serait une absurdité ! Daech l’a tenté. Ce genre d’aberration est courant dans les milieux littéralistes. Au lieu de retenir l’esprit du message, ils veulent transmettre son enveloppe culturelle en ressuscitant des pratiques disparues. Cette logique consiste à reproduire à l’identique le contexte de la révélation coranique au lieu de l’esprit de son message comme si l’Histoire, y compris celle du « moment coranique », était un code[2]. Le ridicule n’a pas de limite !

Les vêtements des femmes

La première erreur est de considérer que les vêtements relèvent du culte et non de la culture. Confondre les deux registres, c’est déjà être mal parti. Les musulmans du moment coranique s’habillaient comme les païens, y compris le Prophète lui-même. C’est même étrange de le dire, pourtant il faut le rappeler à certains musulmans. Le qamis[3] n’est pas une « soutane musulmane » ni le foulard une « kippa féminine » ou une « coiffe de nonne à la musulmane » ! La pudeur est un principe moral, la décence des vêtements relève des règles coutumières (‘adâte). Ne mélangeons pas le principe actif moral avec l’excipient culturel, pour évoquer ici une métaphore médicopharmaceutique !

L’exemple que j’ai choisi ici est le jilbab, un vêtement de femmes évoqué sous ce nom dans le Coran. Selon les ouvrages qui traitent des circonstances historiques (asbâb an-nuzûl[4]), le Coran demandait aux femmes de mettre un jilbab la nuit et de ne pas sortir avec des habits d’intérieur – tenues légères par nature – pour satisfaire leurs besoins naturels (les toilettes étaient situées à l’extérieur des maisons), ce qui leur permettait de se protéger ainsi des voyous. Omar, toujours lui, avait pensé que ce verset[5] ne concernait que les femmes libres ou nobles. C’est pourquoi il interdisait aux esclaves de porter le jilbab et de cacher leurs cheveux[6]. Ce code vestimentaire existait déjà dans des traditions plus anciennes, permettant de distinguer la femme noble ou mariée de la femme esclave ou célibataire.

En effet, les esclaves chargées des travaux domestiques devaient être plus mobiles, donc moins habillées que les femmes libres, lesquelles n’avaient même pas l’obligation morale d’allaiter leurs enfants. Elles les confiaient à des nourrices[7]. Le savant tunisien réformiste Tâhir ibn ‘Ashûr, soulignant cette distinction entre le sens et le signe, dit : « Les peuples dont le jilbab n’est pas l’habit traditionnel ne sont pas concernés par cette prescription coranique[8]. » Aujourd’hui, on voit défiler dans les rues de Paris des musulmanes avec ce qu’elles appellent à tort le jilbab et des hommes avec des qamis tellement exagérément exotiques qu’ils en deviennent provocants. C’est le contraire même de la pudeur, qui exige la discrétion. Souvenons-nous que le Prophète considère que s’habiller ostentatoirement (libâss ach-chuhra) est une faute morale très grave, qui pourrait être passible d’une peine eschatologique dans l’au-delà[9].

1. Un impôt canonique annuel, obligatoire à partir d’un certain seuil de richesse.

2. « On s’appuie sur l’histoire, mais l’histoire n’est pas notre code », disait à juste titre le protestant et politique français Rabaut Saint-Étienne. Nous reprenons à notre compte cette assertion.

3. Habit masculin arabe.

4. Jalâluddîn Suyûtî, Ad-Dur al-manthûr, Dâr al-Fikr, Beyrouth, 1983, t. VI, p. 659.

5. Coran (33, 59).

6. Jalâluddîn Suyûtî, Ad-Dur al-manthûr, op. cit., p. 660.

7. Coran (65, 6).

8. Tâhir ibn ‘Ashûr, Maqâsid ash-sharî’a, Ash-sharika at-tunisiyya litawzî’, 1978, p. 91.

9. Sulaymân Abû Dâwûd via Sharîk, Sunan Abî Dâwûd, Dâr Al-Jinân, Beyrouth, 1988, t. II, no 4029-4030, p. 441.

Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon 2019 – p35 à 39

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