vendredi, mars 29 2024
Il est indispensable d’insister sur l’origine métaphysique, céleste et spirituelle de l’islam. C’est une religion qui a pris forme dans l’histoire à travers le moment coranique et au cours des siècles pour arriver aujourd’hui à notre réalité. Il s’agit à l’origine d’un verbe, d’une parole qui a fait irruption dans l’esprit d’un homme, le prophète Muhammad (saws). Ce point originel est d’une certaine façon paradigmatique car il s’agit d’une rencontre entre une dimension divine et une dimension humaine pour prendre forme dans un langage traduit dans une réalité donnée. Cette question métaphysique ou plutôt théologique est nécessaire car elle explique comment cette religion fonctionne dans l’histoire. Malheureusement l’islam d’aujourd’hui est asphyxié, réduit à une question d’identité et à une norme coupée de ses sources transcendantes et de ses visées universelles. La norme pour la norme, au service peut être d’une identité en quête de stabilité.
Cette parole est divine mais il ne s’agit pas d’une parole ontologique, puisque la parole ontologique de Dieu est inaccessible, il s’agit d’une traduction d’une pensée divine dans un langage humain. Ce point de départ est très important, notre raison ne peut confisquer Dieu, elle ne peut connaitre Dieu totalement. Il y a une distance qui permet un renouvellement de la pensée et du rapport avec cette transcendance. Le Coran est très précis sur ce sujet car il parle de signes (Ayât). La révélation de l’islam n’est pas un dévoilement, ni une incarnation mais plutôt une religion d’indications. Le suspens n’est jamais totalement levé. La raison est engagée dans la compréhension du signe à travers un langage, lequel langage révélé nous renvoie à d’autres formes de langage divin.
Le langage cosmique car le Coran nous renvoie sans cesse à la sémantique cosmique divine puisque le monde est l’œuvre de Dieu donc il parle de Dieu. Nous connaissons l’auteur à travers son œuvre. Il y a une ouverture vers l’universel. Le Coran ne renferme pas l’esprit dans le texte mais il ouvre sur d’autres formes de connaissances. Dieu ne cesse de communiquer avec l’homme. Il est très important de définir la notion de wahi et de révélation car tout est donné dans ce vocable, une des clés paradigmatiques qui nous permettra de comprendre la vérité de l’islam. Mais elle n’est pas une certitude, ce n’est pas un dévoilement car Dieu ne vient pas par Lui, Il est distant mais fait irruption dans le monde des hommes à travers ses signes. C’est une ontologie de distanciation.
Il y a un autre langage, un autre livre celui qui nous parle de l’intérieur. Dieu nous dit dans le Coran qu’Il nous montre ses signes dans les horizons mais aussi en nous même (41;53). Il y a un livre qui nous parle de l’intérieur : c’est ce que l’on appelle la fitra, la nature première. Une voix qui nous parle de l’intérieur. Encore faudrait-il l’écouter, évacuer le bruit qui nous empêche de l’entendre. Contrairement à une théologie qui affirme que la découverte de Dieu se fait dans l’avenir, nous nous pensons que tout nous a été donné dès la création. Il n’y a pas de découverte de Dieu et tout le processus de la connaissance de Dieu consiste à se réconcilier avec notre prime nature. Une bonne lecture de l’islam est celle qui nous réconcilie avec notre fitra. Toute lecture qui crée une brisure, une fissure, une tension intérieure n’est pas une bonne interprétation de la religion. L’imam Al Ghazali a résumé le rapport entre la révélation et la raison, il a dit que la révélation est une raison de l’extérieur et la raison de l’homme est une révélation de l’intérieur. Lumière sur lumière, la lumière de la révélation qui s’ajoute à la lumière intérieure, l’immanence et la transcendance. Toute la pensée musulmane a été de réconcilier ce qui nous a été révélé de l’intérieur avec ce qui a été révélé de l’extérieur car l’auteur de la révélation est l’auteur de la raison. Dieu ne peut envoyer un message qui contredit la raison. Tous les savants ont écrit sur ce sujet pour montrer qu’il ne peut y avoir d’antinomie et de contradictions entre ce que Dieu demande à l’homme et ce que la nature de l’homme lui demande. La nature première peut être altérée par la civilisation et la culture. La civilisation nous éloigne de ce que nous sommes, toute la spiritualité consiste à résister à l’oxydation, à l’altération de ce qu’a produit la civilisation sur notre prime nature, notre nature spirituelle.
Cette parole divine se situe sur deux niveaux. Le kalam nafsi, la parole intime de Dieu car Dieu n’est pas arabe, il n’est pas hébreux, le Coran est en arabe mais Lui ne l’est pas. Il vient de Dieu mais n’est pas Dieu. Donc les gens qui lisent le Coran en pensant être dans l’incarnation, et pour qui il n’y a pas de suspens et que tout est dans le Coran, il y a là un problème théologique. Aujourd’hui il n’y a plus de discours métaphysique ou théologique sur la religion. On parle de la loi mais on oublie le législateur. C’est ce que j’appelle la normolatrie, l’adoration de la loi. La loi n’est pas le but, elle est au service de quelque chose. Une loi qui ne conduit pas vers le sens, vers l’auteur renforce notre égo mais pas la transcendance. Cela traduit des enjeux identitaires ou des postures politiques. Cette lecture se sert de Dieu mais ne Le sert pas. Il y a une grande différence entre servir Dieu et s’en servir. L’objectif de la spiritualité est de faire sortir l’individu de son égocentrisme pour se réaliser dans l’altérité absolue afin qu’il puisse vivre avec les autres. C’est pourquoi dans les actes d’adoration (ibadat), le culte vient en premier lieu. Après la foi, il y a la prière puis le jeûne qui est un mouvement vertical vers Dieu. Il y a toujours un lien entre le culte et l’éthique. Chaque fois que le Coran parle de prière (salat), il parle d’aumône (zakat), de la générosité et du don, c’est à dire la sortie de la cupidité et de l’avarice. Le propre de la foi c’est le don, le jeûne : on se prive pour donner (…)
Compte rendu de la conférence du 21 février 2015 avec Tareq Oubrou : Islam d’aujourd’hui, clés de lecture
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