jeudi, octobre 31 2024

On parle de la déconstruction. Voilà un mot magique ! Il est souvent confondu avec « destruction » qui laisserait derrière elle un édifice en miette, un « démontage » d’une machine en abandonnant ses pièces éparpillées, sans en proposer un nouveau montage. En effet, la déconstruction ne doit pas être un métier de démolisseur. Elle est nécessaire pour les musulmans afin de comprendre comment leur religion fonctionne à travers ses différentes dimensions, pour en proposer une nouvelle forme et un nouveau fonctionnement adaptés à l’époque. Il est donc tout à fait légitime de s’inspirer de l’universel qu’apportent les sciences humaines, à condition d’être avisé de leur limite. Car si les sciences exactes, on ne peut plus modernes et rationnelles, elles-mêmes reconnaissent leur incomplétude, que dire alors des sciences humaines ? Oui alors, à l’ouverture sur les sciences humaines, mais toujours avec le même esprit critique. Ce qui implique une critique a priori d’une théorie critique avant-même de l’appliquer à l’analyse des Textes de l’islam.

Il y a déjà plusieurs siècles qu’Ibn-Taïmiya avait assimilé cette démarche de la déconstruction, mais qui consistait d’abord à vérifier l’efficacité de l’outil d’analyse avant de l’introduire dans le traitement des sources scripturaires. Une sorte de « pré-déconstruction ». Tout en reconnaissant que la logique contient des aspects valides, il a procédé à sa déconstruction. C’était déjà l’époque des modernes (Khalaf), fascinés par la philosophie grecque, notamment l’aristotélisme. La doctrine des Anciens (Salaf), à laquelle appartenait Ibn-Taïmiya, elle, était plus critique quant à son utilisation dans l’approche du savoir religieux. Mais cette dernière, notamment dans son aspect qui traite de la logique, a fini quand même par pénétrer presque tous les champs du savoir de la civilisation arabo-musulmane, de la langue arabe jusqu’à la philosophie arabe en passant par la théologie spéculative (scolastique musulmane), la principologie (usul al-fiqh), le soufisme, etc.
Dans son célèbre ouvrage « la réfutation de la logique » (naqd al-mantiq), Ibn-Taïmiya remis la logique à la juste place qui lui revient : une logique, certes, mais celle des Grecques, et donc relative et incomplète. Il aurait pu intituler son ouvrage par « falsification de la logique », comme le ferait un épistémologue comme K. Popper. Mais il a fallu attendre la deuxième moitié du siècle dernier pour que Gödel vienne démontrer mathématiquement cette fois-ci, mais paradoxalement et définitivement, que la logique n’est pas complètement et parfaitement logique. Pour le coup on peut parler d’une vraie déconstruction, au plus haut niveau de la rationalité. Ses théorèmes d’indécidabilité, d’incohérence et d’incomplétude, ont remis en cause le statut de science exacte de la mathématique. Il ruina ainsi le rêve de Frege, Russel et Hilbert, lesquels mathématiciens et logiciens ont déployé tout leur génie pour la rendre complète.

En définitive Gödel a fait avec la mathématique ce que Kant auparavant a fait avec la métaphysique, il l’a critiquée pour la sauver. C’est ainsi que Gödel a sauvé toute la science de la tentation idéologique. Et c’est là un paradoxe heureux qui nous enseigne que la critique est parfois plus utile à une idée que d’en faire l’apologie, et à n’importe quel prix. Il rend à l’homme ce qui lui revient : un savoir humain, simplement humain, uniquement humain.
Pour ces considérations épistémologiques et pour d’autres encore plus théologiques, nous défendons le droit au doute et à l’inachèvement. Nous devons accepter la perplexité, sans laquelle la foi n’a pas raison d’être. Plus qu’une raison et un fondement de la foi, il est question de Salut. Autrement dit, le doute préserve et sauve paradoxalement la foi. Cela est vrai théologiquement, comme nous le verrons, mais aussi par expérience. En effet, certains croyants fanatiquement attachés à des certitudes, ont vu leur foi s’évanouir dès que celles-ci se sont effondrées avec l’érosion du temps.

Tareq Oubrou – extrait de l’article avertissement sur www.tareqoubrou.com – Aout 2017

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