vendredi, décembre 13 2024

L’expulsion du Paradis pour aller travailler a fait passer l’homme de l’état de nature à celui de culture, alors qu’auparavant il consommait oisivement les biens du Paradis qui n’était, après tout, que terrestre[1].  En fait, c’était juste un moment de répit, avant d’affronter l’épreuve de la vie et la responsabilité de façonner le monde.

En effet, il n’était pas un simple animal neuronal et spirituel capable de penser et de parler, mais aussi et surtout un animal chiral[2], un être manuel dont la main est proportionnellement développée par rapport au cerveau, lesquels sont biologiquement les plus évolués. Et si sa main est conçue ainsi c’est qu’elle contient sa propre intelligence, une intelligence technique qui comble sa vulnérabilité physique et intellectuelle.

Il est conçu comme un animal bipède justement pour libérer ses mains, et donc son intelligence. Une finalité, une téléonomie, dirait un Jacques Monod[3] Laquelle lui a permis d’évoluer de façon à façonner la matière afin d’élaborer des outils qui lui permettent de se défendre, de labourer, de tisser des habits, de construire des habitations et les outils techniques du savoir, depuis l’écriture jusqu’aux instruments de mesure et d’observation les plus sophistiqués, comme ces grosses machines de détection de particules qui permettent d’explorer les mystères de la matière et de l’Univers[4]. C’était cela sa destination dès le départ, non de vivre dans un jardin à consommer dans l’ennui les fruits du Paradis sans rien faire, ni connaître ni rien produire.

Au fond, et au-delà du sens de la chute, le Coran a surtout mis en scène l’idée que l’épreuve est intrinsèque à l’« entrée dans l’humain » avec ses conséquences sur le jeu de liberté qui est le propre d’une humanité livrée à sa seule et entière responsabilité. C’est un saut considérable dans l’ordre de la création, une mutation existentielle, qui constitue en permanence, pour l’homme, un double risque : mal choisir ou choisir le mal. Commettre l’erreur ou commettre la faute. Son destin n’est pas d’être dans un monde où il n’y aurait que jouissance, plaisir, bonheur constant et imperturbable, un Univers sans accidents, transformations, où il n’y aurait rien à chercher, rien à comprendre, rien à découvrir. Un monde fade et d’un vide absolu, à supposer que ce dernier existe. Ce monde vaudrait-il la peine d’exister ?    

1. C’est l’avis de nombre d’exégètes et de théologiens musulmans. Parmi les compagnons du Prophète : Ibn-Abbas, Obay ibn Ka’b, pour ne citer que ces grands savants exégètes. Parmi ceux qui ont suivi cet avis, on trouve également Soufiane ibn ‘Uyayna, Wahb ibn Munabbih, Ibn-Qutayba, etc. (Voir Ibn-Kathîr, Al-bidâya wa an-nihâya, Dâr al-Kutub al-‘Ilmiyya, Beyrouth, [s. d.], t. I, p. 69-71.) 

2. Du grec, la « main ». 

3. Un concept évolutionniste qu’il emprunta au biologiste britannique Colin S. Pittendrigh, lequel employa le terme dès 1958.

 4. Le grand collisionneur de hadrons (LHC) situé dans une zone frontalière entre la France (pays de Gex) et la Suisse (nord-ouest de Genève). Il est le plus grand et le plus puissant accélérateur de particules. Cette machine est un anneau de vingt-sept kilomètres jalonnés de milliers d’aimants supraconducteurs dont certains peuvent atteindre quinze mètres, le tout associé à des structures accélératrices qui augmentent l’énergie des particules qui y sont propulsées.

Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Édition Tribune Libre Plon 2019 – Tareq Oubrou – p150 à 152

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