En ces temps de terrorisme, qu’évoque, pour vous, le mot « résister » ?
Il faut d’abord résister, en tant que citoyen, à cette émotion négative qu’est la peur : le terrorisme cherche à semer l’effroi, le désordre et le chaos. Mais il faut aussi résister intellectuellement à la tentation de l’essentialisme ou de la simplification. Et là, je convoque un mot important en islam qui est le mot ijtihad. Ce terme est le superlatif du terme « djihad » – il comprend d’ailleurs la même racine – et il désigne un effort intellectuel, mené jusqu’à l’épuisement, afin de comprendre les choses. C’est le propre du théologien et de l’homme de spiritualité d’accomplir cet effort de recul, qui permet de se soustraire à la tyrannie émotionnelle de l’immédiateté, et donc de mieux voir et de mieux agir. L’ijtihad permet de ne pas subir l’orthodoxie de masse et la tyrannie communautariste, mais aussi de réagir avec un optimisme énergique.
La résistance intellectuelle, théologique, herméneutique est centrale. Il faut refuser de succomber à la paresse qui consiste à essentialiser les religions, éviter la facilité de mettre tout le monde dans des cases, initier notre esprit à la complexité parce que le « présentisme » est devenu le paradigme structurant de notre mentalité. Résister, c’est faire entrer de la nuance dans nos esprits. Restaurer la raison pour lutter contre les pensées inadéquates, incohérentes et simplistes. Chasserles préjugés et les idées toutes faites car ce sont des prisons mentales qui nous empêchent de comprendre la complexité des phénomènes.
Il ne suffit pas de prononcer les mots « djihad », « Coran » ou « califat » pour expliquer la violence : le terrorisme est le produit de notre postmodernité, caractérisée par la technique dans une main, et l’émotion dans l’autre. Le terrorisme consacre la défaite de la raison, mais, tout comme la douleur nous signale une pathologie physiologique, il nous informe sur un dysfonctionnement.
Quel est-il ?
Le dysfonctionnement que nous signale le terrorisme, c’est une lecture instrumentalisée du Coran. Le texte devient un prétexte qui est mis au service d’objectifs qui n’ont évidemment rien à voir avec la spiritualité musulmane. Il faut donc résister en diffusant une lecture de l’islam appropriée à notre monde, refuser l’importation d’une lecture religieuse médiévale qui était peut-être valable au Moyen Age mais qui ne l’est plus aujourd’hui. C’est le littéralisme qui aboutit à la violence terroriste.
Le califat, c’est un vocable médiéval qui a été sacralisé au fil de notre histoire, mais notre histoire, ce n’est pas notre code : en islam, l’histoire n’a ni un statut théologique ni un statut canonique. Il appartient donc aujourd’hui à chaque communauté musulmane d’inventer des formes de pratiques et d’intégration qui sont adaptées au monde dans lequel elle vit. Il faut donner une bonne lecture de l’islam à nos jeunes, pour qu’ils puissent vivre une spiritualité en phase avec leur époque. Il faut aussi résister par l’action, par une morale active. Partir de la spécificité musulmane pour faire de l’universel dans une société plurielle. Ma fonction, en tant que théologien et imam, c’est d’avoir une parole d’apaisement : je rappelle en cette occasion que le mot islam dérive du mot salam, qui veut dire « paix ».
Par Tareq Oubrou Le Monde | 25.03.2016