Au risque de caricaturer, je dirais que les musulmans donnent l’impression de conduire la voiture de leur Destin, mais dont le rétroviseur est aussi grand que le pare-brise. Ils progressent ainsi dans le temps, mais vers un « avenir-passé », cherchant un paradis perdu, un âge d’or égaré. L’illusion nous viendrait, entre autres raisons, d’une perception de l’Histoire qui confond la logique de la religion avec celle de la civilisation. Elle est fatale. Elle est aussi douloureuse. Car nostalgique, le monde musulman demeure prisonnier d’une histoire de leur civilisation, parfois imaginée et exagérée, et qu’il voudrait reproduire. Or le propre des civilisations est de naître et de disparaître. Aucune civilisation ne se reproduit à l’identique dans l’Histoire. Leur mort est irréversible. Par contre les grands systèmes de l’esprit -les grandes spiritualités et les religions monothéistes notamment- traversent l’Histoire et rencontrent des civilisations avec lesquelles elles composent en même temps qu’elles les transcendent.
Néanmoins une religion peut produire une civilisation. L’islam l’avait fait auparavant, mais il ne pourrait en aucun cas être réductible à une civilisation. Commettre cette confusion c’est condamner la religion à disparaître avec la disparition inéluctable de la civilisation. Leurs deux courbes peuvent se rejoindre certes, mais souvent suivent deux allures différentes. De ce point de vue, l’histoire de la civilisation est globalement linéaire et irréversible. Ce n’est pas le cas pour la religion qui ne cesse de se régénérer et de se renouveler, pour reprendre un hadith du Prophète qui parle du renouvellement (tajdîd) de la religion musulmane chaque siècle. Ce renouvellement n’a rien à voir avec le renouvellement de la civilisation arabo-musulmane, qui elle s’est effritée il y a bien des siècles et dont il est faut faire le deuil, une fois pour toute. Elle est née sur les débris d’autres civilisations (gréco-romaine, persane, indienne…) pour subir à son tour le même sort. Le Prophète l’avait prédit quand il a annoncé que les musulmans suivraient le même Destin que celui des Romains et des Perses .
Et c’est sur les traces de la civilisation musulmane et grâce à d’autres facteurs que la civilisation occidentale a vu le jour, exactement comme le stipule la loi de la thermodynamique qui nous informe que rien ne se crée, rien ne se perd tout se transforme. C’est ce que le Coran appelle sunnatallah, la Loi de Dieu dans l’Histoire, ses transformations et ses renversements .
LE CORAN, OU LE MYSTERE D’UN SOUFFLE (RUH), communication 2012