jeudi, novembre 21 2024
Notre approche contiendra une « déconstruction[1] » qu’un Derrida qualifierait de « différance[2] ». Un acte ou un événement provisoire. Le but est de démonter les éléments du « système islamique » non pas pour le seul plaisir d’en analyser l’architecture et le fonctionnement, mais pour faire advenir un islam possible qui n’a pas pu être encore.
Elle sous-tend toute la démarche intellectuelle de cet ouvrage. Nous l’appliquerons également ici au sujet de la Loi.
Nous commencerons de prime abord par faire remarquer que l’apparition de la Loi dans le monothéisme remonte à Moïse. Il fut le premier à l’introduire de manière notoire dans le judaïsme. Jésus est venu l’adoucir et l’accomplir dans la Loi d’amour. Ce mouvement de la sortie de la Loi de l’Ancien Testament a donc été amorcé par le catholicisme, puis la Réforme qui a ouvert la voie aux Lumières : déisme, humanisme, rationalisme, entre autres. Depuis, le droit positif dans les sociétés occidentales a remplacé progressivement le droit canonique, pour dire les choses de manière trop générale et rapide.
C’est dans ce mouvement de sécularisation que l’islam avec sa sharia apparaît aujourd’hui comme une incohérence de l’histoire, une remise en cause de cette « sortie de la loi religieuse ».
Le retour à l’Ancienne loi, subversion de l’islam ?
La visibilité de la sharia[3] est en train d’éclipser la halakha[4] en donnant l’impression de ressusciter un judaïsme sépharade[5] massif[6] caché sous un burnous arabo-musulman. Le « halal » assimilé au « casher » participe de cette visibilité, notamment en France, pour ne citer que cet aspect. Certains pourraient même voir là une sorte de revanche historique de l’Ancien Testament sur le Nouveau grâce au Coran.
Un retour à l’Ancien Testament. Or, ce retour à la Loi stricte s’oppose au projet du Coran qui, tout en restant en lien avec l’Ancien Testament, notamment la Torah, est venu continuer l’élan initié par le Nouveau Testament. Car si le judaïsme a introduit la Loi dans le monothéisme, c’est lui qui en a ébauché l’adoucissement avec Jésus, lui-même juif. C’est donc de l’intérieur du judaïsme que ce mouvement de la sortie de la contrainte de la Loi a commencé et non de l’extérieur.
Paul, lui-même juif, vrai fondateur du christianisme, n’a fait qu’en renforcer le trait. L’islam apparaît à cet égard comme une dégénérescence du monothéisme aux yeux de certains chrétiens. Non seulement à cause d’un retour à l’Ancienne Loi, mais surtout à l’Ancien Dieu, celui de l’Ancien Testament, en refusant l’Incarnation. Un « Dieu mutilé », dirait un Jean Damascène, privé de son Verbe et de son Esprit [7]. Il faudrait noter que si le christianisme a aboli la loi de Moïse, il lui a substitué un droit canonique et des tribunaux ecclésiastiques, un droit inspiré principalement du droit romain. Ce n’est donc pas totalement vrai de considérer que le christianisme, notamment le catholicisme et l’orthodoxie, ne connaît pas la Loi religieuse.
[…]
1. C’est un concept issu d’une onto-théologie, mais sécularisée. Une forme de « désobstruction » heideggérienne (Martin Heidegger, Être et Temps, Gallimard, 1986, p. 45-53). Qui n’a rien à voir avec la « démolition nietzschéenne » (Jacques Derrida, De la grammatologie, Les Éditions de Minuit, 1967, p. 33).
2. Un mot qui revient soixante et onze fois dans son ouvrage de la grammatologie.
3. Que l’on peut qualifier aussi de « droit canonique musulman ».
4. L’équivalent juif de la sharia musulmane.
5. Les Arabes (Maghrébins) comme les Sépharades présentent ethniquement des ressemblances.
6. Le nombre de musulmans en France étant bien supérieur à celui des juifs.
7. Jean Damascène, Écrits sur l’islam, Présentation, commentaires et traduction par Raymond Le Cose, Éditions du Cerf, 2016, § 4, p. 217-219.
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon – p103-105
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