Dans l’esprit de l’immense majorité de musulmans, l’incroyance est un délit, et tout non- musulman mérite la malédiction et la sanction eschatologique, la Géhenne. Cette croyance est à l’origine d’une rupture mentale grave entre les musulmans et les non-musulmans. Pourtant, selon le Coran, le Salut est lié au libre choix de la personne de suivre ou non le Prophète. N’est responsable d’un tel choix que celui qui a rencontré le Prophète missionné, a vu les signes et les miracles qu’il a accomplis et a reçu son message de manière claire : « quiconque choisit la voie droite, c’est pour lui- même, et quiconque choisit l’égarement, c’est à son propre détriment. Mais nul ne portera le fardeau à la place d’un autre. Nous n’avons pas à châtier un peuple tant que nous ne lui avons pas envoyé un Messager[1]. » Un hadith va dans le même sens : « Personne plus que Dieu n’aime excuser les autres.
C’est pour cette raison qu’il a envoyé des Messagers pour annoncer et alerter [avant de les juger][2]. » De ce point de vue, seule une personne qui a connu un prophète- messager (rasûl) et a refusé de croire en lui en connaissance de cause peut être qualifiée de kâfir (mécréante).Par conséquent, cette notion, dans son sens négatif, est restreinte au seul moment coranique. Il apparaît même que l’intention de Dieu n’est pas de pousser les gens à la mécréance en multipliant les prophètes et les miracles : « Ce qui Nous a empêché d’envoyer des signes [révélations ou miracles], c’est que les peuples anciens les avaient déjà refusés […].
En outre, nous n’envoyons les signes qu’à titre d’avertissement[3]. » En dehors de ce champ, la personne qui n’accède pas à la vérité du Coran n’est pas responsable ; elle ne peut donc pas être qualifiée de kâfir. quant à ce qui se passera le jour du Jugement dernier, seul Dieu en décidera, comme le rappellent plusieurs versets. Et, comme a dit Jésus à ceux qui ont refusé de le suivre : « Si tu les châties, ce sont après tout Tes serviteurs, et si Tu leur pardonnes, Tu es le Noble et le Sage[4]. » Selon la théologie sunnite, Dieu doit respecter sa promesse (le Paradis), mais pas sa menace. Il n’est pas obligé de mettre à exécution sa colère. Cela s’appelle une noblesse. Beaucoup de musulmans ignorent cette doctrine orthodoxe (sunnite) qui défend l’idée d’un Enfer extinguible[5] et prévoit que, quelles que soient les fautes ou la « mécréance » d’une personne, celle- ci ne restera pas dans le châtiment pour l’éternité. C’est bien ce que laisse entendre ce verset : « Ils y resteront éternellement [en Enfer] tant que demeureront les cieux et la terre, à moins que ton Seigneur en décide autrement. Ton Seigneur fait ce qu’il veut[6]. »
À noter ici que l’éternité (khulûd), dans le vocabulaire du Coran, n’est pas synonyme d’une durée infinie (baqâ’). Ce verset met en cause le sens littéral de tous les versets qui donneraient l’impression que le châtiment de Dieu serait d’une durée infinie. Tout simplement parce que l’Homme n’a pas été créé pour la souffrance, même si celle- ci peut être un passage, une épreuve, une purgation temporelle.En revanche, le Paradis reste éternel, à l’image de la Miséricorde de Dieu, laquelle l’emporte sur sa colère temporelle, comme le soulignent nombre de textes[7]. Aussi, selon cette même doctrine, le mal n’est- il pas radical, mais conjoncturel et accidentel. Il pourrait être réparé par simple grâce (fadl) divine.C’est ce qu’on appelle l’apocatastase.
Cette perception théologique se réfère aussi à une somme de textes qui laissent entendre que Dieu jugera davantage les êtres avec sa bonté qu’avec sa stricte justice. voilà qui risque de déranger certains musulmans, qui voudraient entrer seuls au Paradis et refermer la porte derrière eux. Cette question d’une grande portée théologique doit donc inciter tous les croyants à faire preuve de beaucoup d’humilité.
1. Coran (17:15).
2. Rapporté dans les deux recueils les plus authentiques de hadiths, celui de Bukhârî et celui de Muslim.
3. Coran (17:59).
4. Coran (5:118). Il arrive au Prophète de l’islam de passer toute une nuit en prière et dans le recueillement, récitant ce verset en boucle jusqu’à l’aube (Ahmad ibn Hanbal via Abû Darr, Al- Musnad, n° 21495).
5. C’est l’avis d’un certain nombre de disciples du Prophète : ‘Umar, Ibn Mas‘ûd, Abû Hurayra… Ibn Taymiyya et son disciple Ibn qayyim ont choisi cet avis.
6. Coran (11:107).
7. Par exemple le hadith rapporté par Bukhârî via Abû Hurayra, n° 7554.
Tareq Oubrou, Grand Imam de Bordeaux – Ce que vous ne savez pas sur l’islam – Edition Bayard 2016 – p58-61.