jeudi, novembre 21 2024

Qu’entend-on par éducation ?

Pour ne pas encombrer notre sujet, nous allons nous contenter de limiter le concept «éducation» au domaine strictement religieux, celui de l’enseignement de la foi et des pratiques, notamment cultuelles et morales.

Un Message et un Messager

Le Coran parle deux fois de la fonction du Prophète, comme archétype et modèle de l’éducateur par excellence (3 : 164) et (62 : 2). Il évoque implicitement les étapes que doit respecter tout projet éducatif islamique sérieux, qui commence par la transmission d’une information religieuse sûre, fiable et authentique (tilâwa). C’est nécessaire mais pas suffisant car l’information coranique n’éduque pas par elle-même. Il faut une préparation mentale, spirituelle et morale, comme un préalable à une bonne réception, à une bonne compréhension, puis à un bon usage de cette information. C’est la deuxième tâche du Prophète éducateur, celle de la tazkiyya.

Cette notion concentre deux significations : d’une part la purification (tathîr) et d’autre part le développement (tarbiyya).

Cette tazkiya à son tour introduit à l’enseignement (at-ta‘lîm), l’autre étape de l’éducation. Autrement dit, le Coran au même titre qu’il n’éduque pas de lui-même, ne parle pas non plus de lui-même. Au contraire, il demande interprétation et explication. C’est l’autre fonction du Prophète, comme éducateur. Elle vient ouvrir l’éducation sur l’universel et la sagesse (al-hikma). Et contrairement à ce que pensent d’aucuns, le Coran vient ici se constituer comme un point de départ.

En effet, la notion même de Wahy (Révélation) signifie une indication, une orientation et non un dévoilement.  Autrement dit, les Textes références de l’islam viennent pour intégrer le musulman dans la réalité de son monde et ne le ferment pas dans les Textes et leur univers historique. Ce qui serait un autisme néfaste pour son éducation.

Corriger en permanence le risque d’une diplopie herméneutique 

(Diplopie : le fait de voir double, de voir simultanément deux images d’un seul objet, ndlr) 

La réalité détermine le rapport à la transmission, à l’interprétation et à la mise en pratique des enseignements religieux.  La mépriser, c’est mépriser les enseignements du Coran et de la Sunna.  Le principe du Coran mecquois et le Coran médinois et celui des circonstances de la révélation (asbâbu an-nuzûl) se trouve au fondement de toute une épistémologie de la réalité pour une méthodologie d’élaboration de discours en phase avec la réalité. L’éducation doit obéir à ce principe de réalité, laquelle réalité est cinétique par essence (cinétique, énergie produite par le mouvement, ndlr).

Par conséquent, comprendre le Texte dans l’univers du Texte est une chose, le comprendre ici et maintenant c’en est une autre. La première étape relève d’une herméneutique fondamentale : une simple exégèse (tafçir) ou commentaire (charh) des sources scripturaires. Cette approche est incontournable mais elle ne peut être seule source d’éducation tant qu’elle ne passe pas à la deuxième étape, celle d’une herméneutique appliquée, traduite dans le langage de l’époque et la culture du temps.

À cet égard, se tromper dans l’interprétation de la réalité c’est se tromper d’interprétation des sources scripturaires, et donc d’éducation religieuse. Un œil sur le Texte, l’autre sur le contexte, peut conduire en effet à un strabisme herméneutique. C’est pour cette raison que le théoricien qui pense les bases et le contenu de l’éducation doit fournir un effort extrême (ijtihad) pour atteindre une harmonie ou une synergie visuelle de la Raison pour éviter justement une diplopie herméneutique, laquelle mènerait à un projet d’éducation d’aliénation.

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Pour une théologie de l’altérité 

Plus que jamais l’universalité de notre humanité se révèle à elle même, comme signe de l’Unicité de Dieu (30 : 22) ; (49 :13). Les moyens de communication et de transport de plus en plus sophistiqués et rapides ont accéléré notre histoire et rétrécie notre planète. Nous vivons désormais dans des sociétés fractales (fractale, forme irrégulière en extension qui reproduit à chaque développement et indifféremment la même forme de base, ndlr), où le monde avec sa diversité se trouve dans le quartier, voir dans nos maisons et nos familles.

Cette intrication de notre humanité exige de notre part l’élaboration d’une théologie et d’une éthique qui intègrent une place pour l’autre qui n’est pas forcement musulman. Comment penser une visibilité intelligemment communicationnelle avec le souci de partager ses valeurs avec les autres au lieu de transformer sa religion en bouclier identitariste de protection. Ceci suppose un changement de paradigme d’une théologie et d’un droit canon (fiqh) médiévaux impériaux, pensés dans une logique de majorité et de domination. Et où l’islam ne parlait qu’avec des musulmans.

Pédagogie de l’essentiel

On a souvent entendu dire que «L’islam est un tout, c’est à prendre ou à laisser !». Comme s’il s’agit d’une parole révélée. Ce dogme de globalité et cette loi du tout ou rien conduit à deux aberrations diamétralement opposées : le totalitarisme ou la sortie totale de la religion. Or comme le fait remarquer l’Imam Chawkâni : «Personne ne pourrait prétendre connaître la totalité des enseignements de l’islam, encore moins être capable de les pratiquer tous ?!». Le Coran lui-même souligne que Dieu ne demande à une personne que ce qui relève de son possible (2 : 286) et (65 :7), et ce tant au niveau intellectuel qu’au niveau pratique et éthique.

Aussi tous les enseignements des Textes n’ont-ils pas le même statut dogmatique (‘aqîda) et normatif (charî‘a). Et même ceux qui sont importants, n’ont pas la même importance. Cela veut dire qu’il est nécessaire d’avoir un algorithme de hiérarchisation pour une éducation qui commence d’abord par l’essentiel. C’est le seul moyen d’assurer une éducation qui n’encombre pas religieusement le musulman et dont le contexte contemporain est de plus en plus complexe, imprévisible, contraignant. Cette pédagogie de l’essentiel passe en premier lieu par un discernement éclairé sur ce qui est circonstanciel et ce qui est permanent dans les sources scripturaires. Car l’erreur à ce niveau d’enseignement et d’éducation conduirait à transmettre les excipients culturels du moment coranique et d’en oublier le principe actif coranique universel, comme un facteur qui apporterait une enveloppe sans message. Une éducation qui insisterait sur les formes et les apparences au détriment de l’esprit.

La résistance, une dimension de l’éducation

L’effondrement des frontières (politiques, ethniques, religieuses, culturelles…), doublé d’une tentation d’uniformisation de notre humanité produisent paradoxalement un contre- mouvement de crispation et de repli. Aussi vivons-nous dans une époque gouvernée par un économisme (intégrisme économique) qui procède par hyper-massification accompagnée d’une uniformisation des désirs pour vendre un même produit. Il broie ainsi le politique et le religieux puis les assimile dans son métabolisme de profit en instaurant un nouveau culte syncrétique de la consommation, comme réalisation de l’être dans la passivité.

Cette consommation passive affecte même les discours et les produits dits islamiques. Une consommation sans discernement ni critique renforçant ainsi la logique d’un capitalisme sauvage. L’éducation musulmane consiste, entre autre, à résister à ces deux fléaux que sont : le repli, qui favorise une marginalisation du musulman et sa sortie de l’histoire ; et la consommation passive, qui le conduit à la dilution puis à la disparation de son être.

26 septembre 2015, Zaman France

Tareq Oubrou

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