samedi, novembre 23 2024

De toutes les religions monothéistes l’islam est probablement la religion du Livre par excellence. En effet, le Livre est la seule autorité qui s’impose à la conscience religieuse musulmane. Et qui dit Livre dit lecture et interprétation sans médiation ecclésiale. Cependant, l’interprétation exige des compétences intellectuelles et un travail savant. Suyûtî[1] évoque 80 matières nécessaires pour l’exégèse du Coran. Le Coran ne se lit pas n’importe comment.

1. Deux cohérences du Texte
– la cohérence endogène : elle consiste à comprendre le passage concerné dans le contexte scripturaire et la péricope où il se trouve ; ensuite il faut le mettre en rapport avec les autres passages dans d’autres chapitres (sourates) qui traitent explicitement ou implicitement du même sujet ;
– la cohérence exogène : elle exige la mise en relation du passage étudié avec son contexte historique, la raison de sa révélation au Prophète (asbâb al-nuzûl). Cette double cohérence, textuelle et contextuelle, est nécessaire pour comprendre l’esprit des enseignements du Coran. En effet, le fait de se contenter de la première cohérence, celle du texte avec lui-même, pourrait conduire à un autisme herméneutique.

2. Deux formes d’exégèse
– l’exégèse fondamentale : elle consiste à comprendre le Texte dans son univers (linguistique, anthropologique, historique…) d’origine ;
– l’exégèse appliquée : elle s’intéresse au sens du Texte à partir de la situation historique de l’exégète, en partant des problématiques posées par son époque. Il s’agit de rendre le Texte lisible et intelligible aux contemporains, une sorte de traduction après décodage. Ces deux manières différentes d’approcher le Coran, exigent deux méthodologies différentes. La première, part de la réalité historique a priori du Texte ; la seconde part de la réalité actuelle et donc a posteriori du Texte. Il est impossible, par conséquent, de comprendre le Coran et l’universalité de son message en faisant fi d’une certaine forme d’épistémologie herméneutique de la réalité.

L’exégèse plurielle et spécialisée
Dans la bibliothèque musulmane, nous pouvons constater une multitude d’ouvrages d’exégèse de toutes approches : l’exégèse linguistique, littéraire, théologique, théosophique, morale, juridique, mystique, traditionnelle, discursive, moderne… Et, contrairement à une idée répandue, le Coran est certainement le texte qui a été le plus commenté parmi les livres dits sacrés. L’histoire musulmane enregistre des dizaines de milliers d’ouvrages d’exégèse. Chaque ouvrage peut parfois atteindre plusieurs volumes. Je ne citerais ici que deux exemples : l’ouvrage d’Abu al-Hassan al-Ach‘arî (m. 936), une exégèse en 500 volumes, et celui d’Abu Bakr Ibn al-‘Arabî (m. 1148) en 80 volumes, chacun composé de 2 000 feuilles. Au Moyen Âge, il y a eu une véritable inflation herméneutique, tellement déroutante pour le commun des musulmans que les savants ont décidé de l’arrêter pour sauver la foi et l’unité des musulmans. Aujourd’hui, notre monde a considérablement changé, ses interrogations et attentes ne sont plus celles de l’âge classique de l’islam. Il faudrait réactiver de nouveau la culture de l’interprétation (ijtihâd), mais sur des bases épistémologiques nouvelles et à la lumière des problématiques posées par notre époque.

[1]. Abdurrahmân Al-Suyûtî (m. 1505), grand érudit de l’islam, a rédigé 981 ouvrages, concernant toutes les disciplines islamiques (théologie, langue arabe, exégèse, sciences du Coran, sciences du hadîth, droit, éthique, soufisme…).

CORAN, CLÉS DE LECTURE
Tareq Oubrou
Publié par FONDAPOL
janvier 2015

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