samedi, novembre 23 2024
 Il y avait effectivement une époque glorieuse de la pensée musulmane où les savants de l’islam[1] étaient tellement ouverts qu’ils cherchaient des contradicteurs pour vérifier la solidité de leur conviction théologique. Ils ne se contentaient pas d’engager des controverses avec leurs coreligionnaires, mais organisaient des séances de disputation avec des gens du Livre et même avec des agnostiques et des athées. Toute une discipline s’est constituée à cet effet. On la qualifia d’art de la disputatio (‘ilm al-khilâfiyyâte) ou de science de la dialectique (‘ilm al-jadal). La règle éthique était : « Mon argument est vrai, mais susceptible d’être faux et l’argument de mon adversaire est faux, mais susceptible d’être vrai[2]. » Car il est évident que le savant le plus pieux peut se tromper de même que le maléfique, le Satan, peut selon le Prophète dire une vérité, alors qu’il est réputé être un menteur[3]. Cette capacité d’accueillir la vérité sans condition, qu’elle sorte de la bouche d’un ennemi ou d’un ami est le seul critère. Dans cette culture, on mettait la vérité au-dessus des personnes, coreligionnaires ou non, partisans ou adversaires. Certains savants musulmans sont allés jusqu’à valider l’interprétation de la sharia par un non-musulman, à condition qu’il en ait les compétences intellectuelles. Cette posture intellectuelle ouvre la pensée religieuse musulmane sur la critique de la raison universelle[4]. Et ne peut que l’enrichir.
1. Il ne faudrait pas le prendre dans l’absolu. Je parle ici des grands savants réputés d’une grande piété et d’une grande objectivité (inçâf) qui étaient incontestables, le reste ne l’était pas tout autant.
2. Cette règle éthique de la disputation est attribuée à l’imam Chafii, fondateur du chafiisme, qui est un courant canonique d’obédience sunnite.
3. Bukhârî via Abu-Huraïra, Al-Fath d’Ibn-Hajar, Dâr al-Kutub al-‘Ilmiyya, Beyrouth, 1991, t. X, no 5010, p. 67.
4. Ibrahim Châtiby, al-muwâfaqâte, Dâr al-Maarifat, Beyrouth, [s. d.], t. IV, p. 111.
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon 2019 – p67 à 68
Previous

Loi de Dieu ou loi de la République ?

Next

La foi à l’épreuve de notre Monde

Check Also