Je vois déjà mes objecteurs musulmans pointer le miracle du Coran comme argument.
En effet, la quasi-totalité des musulmans considèrent que l’effet du miracle du Coran continue jusqu’à aujourd’hui. Par conséquent, ceux qui n’y croient pas sont mécréants. Or, le miracle du Coran ne concernait que les contemporains arabes qui comprenaient son contenu et qui étaient des maîtres chevronnés de la langue arabe : prose ou poésie, etc. Cet argument ne vaut que pour ceux qui considèrent que c’est son style qui fait son miracle. Ce miracle a été un défi pour les Arabes de l’époque, ils ne l’ont pas relevé, cela doit suffire comme information sûre, dit à juste titre Tahar ibn Achûr[1]. C’est pourquoi je trouve que le fait d’entrer dans le comment de ce défi est sans issue. En effet, le miracle frappe d’abord le sens. C’est à ce titre que nous sommes d’avis que le miracle du Coran a eu un effet incapacitant temporaire sur les Arabes du moment coranique. C’est ce que les théologiens appellent as-sarfa, une sorte d’éloignement et une « incapacitance » qui les a détournés ou privés de toute motivation ou capacité à produire un texte qui ressemble à celui du Coran, alors qu’ils en avaient les ressources littéraires. Ils ont été rendus inaptes, par un effet divin. C’est ce fait réel et inexplicable qu’est le miracle. Cette vision est aussi celle d’Al-Acharî, le fondateur de l’acharisme, doctrine sunnite majoritaire[2].
Certains se sont adonnés à un exercice démonstratif pour expliquer l’aspect miraculeux du Coran. Ils se sont livrés à un sport de conjectures stylistiques et d’analyses linguistiques, pour montrer que le Coran de par son texte est un miracle, alors même qu’ils n’ont pas le niveau d’arabe du moment coranique. Aujourd’hui, on parle même d’un « miracle scientifique » du Coran[3], alors qu’en réalité il ne s’agit que d’un concordisme parfois ridicule.
Cette tentative ou cette démarche de la démonstration littéraire et rationnelle du miracle du Coran sape la notion même de miracle. Car un miracle, une fois expliqué, n’est plus miracle.
Des personnes, pourtant savantes de l’islam, confondent deux notions différentes : les « preuves de la prophétie » (dalâ’ilu an-nubyya) et le « miracle du prophète » (mu’jizatu ar-rasûl). Les preuves peuvent être expliquées rationnellement. Elles peuvent convaincre intellectuellement ou pas. Le miracle ne s’argumente pas, car son essence est justement d’être incompréhensible. Un phénomène physique surnaturel extraordinaire, en présence d’un Prophète qui a la fonction de confirmer la véracité de la prophétie, celle de Mahomet en l’occurrence. Ce miracle se voit et se vit, mais ne s’explique pas intellectuellement. Ce qui veut dire que l’arabophone non musulman qui lit aujourd’hui le Coran et qui ne le reconnaît pas en tant que parole venant de Dieu n’est pas un mécréant, car il ne voit pas comment le Coran peut être un miracle. Qui parmi les arabophones musulmans lisant le Coran est capable d’y voir un miracle ? Je ne parle même pas des non-Arabes qui lisent un Coran traduit.
1. Tahar ibn Achûr, Tafçir at-tahrîr wa at-tanwîr, addar attunusiya linnachr et dâr al-jamahiriyya linnachr watawzî’e, [s. d.], t. I, p. 102.
2. Rapporté par Al-Qâdî Ayyâd (Ahmad Al-Khafâgî, Naçim ar-ridâ, commentaire du Ach-chifâ d’al-Qâdî Ayyâd, t. III, p. 413).
3. Il s’agit de versets qui traitent de la science (biologie, astronomie, géologie, etc.) et qui pour eux sont confirmés par la science contemporaine, alors que le Prophète était un analphabète et ne pouvait pas les connaître à cause du niveau scientifique de son époque.
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon – p172 à 174