L’islam comme le christianisme sont deux religions universelles. Le dieu de ces deux religions est un dieu qui concerne le monde entier. L’intégralité de l’humanité est son peuple. Existant, agissant et exigeant, ce dieu attend un retour de la part de l’homme. Il s’intéresse à sa condition et intervient sous forme de révélations afin de conduire les âmes vers le salut dans l’au-delà. Enlevez cette question du salut, et il ne restera presque plus rien de ces deux religions.
Le croyant doit oeuvrer pour accéder au salut, en le partageant avec les autres, car il est censé aimer pour les autres ce qu’il aime pour lui-même. Cette générosité oblige-t-elle le simple fidèle à devenir un missionnaire et à endosser les habits d’apôtre pour remplir sa mission ? Faut-il qu’il aille sauver les autres malgré eux ?
L’invention d’un concept
Ce concept s’appelle daawa (da‘wa). Son étymologie signifie « appel » ou « invitation ». Il concerne le Prophète au premier chef. Celui-ci devait appeler les gens vers la voie de Dieu[1]. Un péricope[2] du Coran laisse entendre que n’importe quel musulman pourrait, lui aussi, appeler à aller vers Dieu[3]. Son contenu est cependant amphibologique[4]. Il suppose trois significations[5] : il ne concerne que le Prophète ; il désigne le muazen, celui qui appelle les croyants à la prière ; ou bien tout musulman. Même si l’on retient ce dernier avis[6], il ne s’agit que d’une option pour le simple croyant, car seul le Prophète-messager (rasûl) a l’obligation théologique d’appeler les gens à la religion, comme nous le verrons.
Cette notion de la daawa est souvent confondue avec une autre notion, celle « d’ordonner le bien et de prohiber le mal ». Cette dernière n’est pas forcément un appel à la foi, mais un appel à faire le bien moral : « Vous devez être la meilleure communauté qu’on ait présentée aux hommes. Vous prônez – ordonnez – le convenable (le bien) et vous condamnez – prohibez – le blâmable (le mal) et croyez en Dieu[7]. » Presque tous les traducteurs traduisent à tort ce verset par : « Vous êtes la meilleure communauté. » C’est une erreur qui a des conséquences psychologiques catastrophiques pour les musulmans, car elle leur donne l’impression d’être la « meilleure communauté » parce que musulmans. Ce qui leur donnerait une fausse fierté.
Or il est manifeste que, dans ce passage, le fait d’être musulman exige des responsabilités morales et qu’il ne s’agit pas d’un grade d’« élus de Dieu » qui leur serait donné gratuitement. Il s’agit d’une injonction et non d’une description. Afin d’être le « meilleur », il faut incarner le bien et il ne suffit pas d’être musulman pour acquérir ce galon. En effet, peut-on, dans ce cas de figure, considérer ces musulmans qui répandent le mal dans le monde comme faisant partie de cette « meilleure communauté » ? Certes, non ! […]
1. Coran (16, 125).
2. Passage du Coran qui peut être constitué de plusieurs versets, traitant un même sujet.
3. « Ne prononcera meilleure parole si ce n’est celui qui appelle à Dieu, fait bonne oeuvre et déclare : “Je suis parmi ceux qui sont musulmans !” La bonne action et la mauvaise ne sont pas pareilles. Réponds – au mal – de la meilleure manière et tu verras que celui avec qui tu avais une animosité va devenir un ami très proche », Coran (41, 33-34).
4. Dont le sens ne s’adonne pas d’emblée à la compréhension parce qu’il est ambivalent, équivoque, voire plurivoque. 5. Abulfaraj Abdurrahman ibn Ajawzî, Zâd al-maçir fî ‘ilm attafçir, Al-Maktab Al-’Islâmî, Beyrouth, 1987, t. VII, p. 256-257.
6. Il est appuyé par un verset qui dit : « Dis : “Voici ma voie, j’appelle les gens à [venir vers] Dieu, moi ceux qui me suivent – en connaissance de cause […].” » Coran (12, 108.) Même dans ce cas, il ne s’agit aucunement d’une obligation pour le simple croyant. L’obligation ne concerne que le messager Mahomet. Le musulman n’est pas messager de Dieu.
7. Coran (3, 110).
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon – p239 à 241