Voilà. Par contre, je parlerai des cinq prières, du jeûne… ces choses qui répondent à un besoin intérieur permanent, des pratiques spirituellement nécessaires pour l’âme. Et quand j’en parle, je fournis généralement une pédagogie. Je ne me contente pas d’énoncer que les cinq prières sont obligatoires, mais je précise que celui qui ne peut pas accomplir les cinq, qu’il essaie au moins d’en faire une par jour, puis deux… L’important, c’est d’essayer. Et si le musulman rompt ses prières pendant un moment, qu’il les reprenne… Tant qu’il y a de la foi, il y a de l’espoir… Évitons la loi du tout ou rien. L’essentiel, c’est que ce type de musulman sache qu’il a déjà le mérite d’essayer d’évoluer spirituellement. Concernant le jeûne du mois de Ramadan : s’il ne peut pas le pratiquer entièrement, eh bien, il vaut mieux qu’il en jeûne deux jours, trois, la moitié… que pas du tout. Je donne donc des principes mais je donne aussi des dérogations et je rends la pratique accessible pour chacun. Cette méthode, je ne l’ai pas inventée, c’est celle du Coran et du Prophète : une méthode douce, que certains n’ont pas vue. Ce n’est pas de ma faute, s’il n’ont pas l’acuité visuelle et l’intelligence suffisante pour la percevoir ou s’en apercevoir.
Avec les conséquences que l’on imagine…
Bien sûr ! Mais cela ne remet pas pour autant en cause le fait qu’il y ait toujours un appel à la perfection. Cela fait partie de la démarche mystique soufie. Mais là, il s’agit d’un autre langage, d’un autre registre, celui de la démarche qui prend en charge le cheminant (sâlik) sur la voie de la béatitude qui passe par la rectitude et les techniques qui permettent de surmonter des obstacles fondamentalement intérieurs, et ce afin de gravir les états spirituels et moraux jusqu’au plus haut niveau, jusqu’à la sainteté. Quant au langage commun pour un large public musulman, il doit se contenter d’un strict minimum que les savants de l’islam appellent les pratiques reconnues comme nécessaires de par les enseignements de l’islam « al-ma‘lûm mina l-ladhî bi-l-darûra », le minimum consensuel.
C’est-à-dire ?
Par exemple, en matière de la croyance : l’Unicité de Dieu, la prophétie de Muhammad, le jour du Jugement Dernier… et quelques autres dogmes essentiels, car tous les dogmes ne sont pas importants au point que le fait de les ignorer porterait atteinte à la foi. En matière de pratiques rituelles : les cinq piliers de l’islam, le jeûne du mois de Ramadan ; la Zakât* et le Pèlerinage pour ceux qui ont en les moyens. Et en matière de morale : un minimum éthique, tout en soulignant qu’il n’y a pas de péché originel et que la faute est une étape de la démarche spirituelle du musulman qui est parfois, sinon souvent, nécessaire pour son élévation morale et spirituelle, s’il sait la transformer en bien par le convertisseur du repentir.
Ensuite, il faut donner des éléments pédagogiques personnalisés pour que les individus puissent assumer une vie de plus en plus difficile. Car nous vivons dans un monde très contraignant pour un nombre croissant d’individus, dont certains doivent faire face à une grande violence symbolique : il faut qu’ils réussissent à l’école, à l’université, dans leur travail, il faut qu’ils évitent la situation de chômage, les divorces, les conflits familiaux… Si en plus de tout cela vous ajoutez une masse d’autres obligations religieuses, alors vous pouvez voir s’éteindre la foi en Dieu et avec cela tout l’espoir d’un salut aussi bien dans ce monde que dans l’autre.
C’est vrai qu’il y a effectivement des gens qui ne sont pas dans la réalité ! Qui la fuient car elle est très difficile. On peut les comprendre. Quant à ceux qui veulent la confronter, le combat n’est pas gagné d’avance, et si, en plus, on vient leur encombrer la vie avec des détails de la loi religieuse dont certains sont très difficiles à pratiquer, voire impossibles, alors l’échec est assuré à tous les coups. Même les cinq prières sont très dures à réaliser, de nos jours. Dans la société de l’époque du Prophète et même jusqu’à une date récente de notre histoire, les gens avaient le temps, le rythme de la vie était très lent. Aujourd’hui, faire les ablutions, les prières… certains n’en finissent pas ! Et ils délaissent tout. On peut comprendre… Il n’y a pas de vacances en islam…
Seriez-vous prêt à créer le concept canonique de vacances de la prière ?
Non, je n’irai pas jusque-là, évidemment, je plaisante… On peut trouver dans la prière des moments de repos. Tout dépend de la manière dont on conçoit le moment de la prière. Le croyant à besoin d’un moment où il suspend le rythme très stressant de la vie moderne… Plus que jamais, on a besoin de ces moments de contemplation et de méditation… Un instant d’arrachement à la pesanteur de notre condition terrestre… une étape dans le désert matérialiste de notre monde, où l’âme prend le temps de s’arrêter en une oasis spirituelle pour se désaltérer, et continuer ainsi son voyage, sa vie… Donc, il y a un aspect de la prière appliqué à la vie dans la mesure où elle n’est pas une sortie du monde, mais un ressourcement pour pouvoir continuer sa résistance existentielle.
Tareq Oubrou
Profession Imam – Albin Michel – P105 à 107