Vous appelez régulièrement les musulmans à faire preuve de visibilité modérée. Quel sens précis donnez-vous à cette expression ?
Le mot visibilité a ici un sens pratique et religieux dans la mesure où il y a également des pratiques invisibles liées au cœur, qui sont les plus importantes. Plus on est discret, plus on est humble, plus on est près de Dieu en général. Même l’aumône secrète est préférable à l’aumône publique. La même règle s’applique pour les prières surérogatoires qui doivent être accomplies de préférence chez soi. Il s’agit d’une discrétion et d’une invisibilité agissante. L’invisibilité n’est pas l’extinction. Il ne faut donc pas s’étaler mais se recentrer sur les pratiques les plus essentielles dont certaines sont visibles comme les 5 prières, à la mosquée. Le Prophète en arrivant à Médine a commencé par construire une mosquée, sans minaret, discrète. Le problème est que les apparences des musulmans ne sont pas proportionnelles à leur enracinement dans la foi. Nous donnons l’impression d’être très religieux comme une plante dont la tige ne serait pas proportionnelle aux racines. Il suffit d’une petite tempête pour qu’elle disparaisse. Cette position m’est dictée par conviction théologique et canonique mais aussi par tempérament. On a engagé les musulmans dans des pratiques mineures aux dépens des cinq prières, de la foi. Des pratiques qui, certes, se fondent sur des Textes mais qui n’ont pas cette ampleur dans l’échelle canonique. On a mis ce qui relève des cultures dans l’éthique, on a mis l’éthique dans le culte et le culte dans le dogme. C’est très dangereux.
A quoi pensez-vous exactement?
Quand j’entends des musulmans me dirent que le foulard fait partie du dogme, je dis stop ! Le foulard n’est pas un objet cultuel. C’est un vêtement éthique qui traduit une pudeur. Il faut resituer les pratiques à leur juste place. Après, les gens sont libres de pratiquer ou non. Maintenant, nous avons des milliers de lois et de hadiths dans le fiqh. Va-t-on pratiquer tout cela ? Pourquoi orienter les pratiques vers cette zone-là ? Il y a là un rapport identitariste par rapport à la religion, qui traduit une rupture par rapport à la société alors que d’autres pratiques sont délaissées comme la piété filiale, la gentillesse envers autrui, la générosité. J’invite les musulmans à ne pas avoir seulement une visibilité en terme de revendications mais aussi de comportements.
TAREQ OUBROU : «UNE PERSONNE FRUSTRÉE NE PEUT PENSER LA RELIGION» ,Octobre 25 2013, interview Zaman France