vendredi, novembre 22 2024

C’est de la notion de Révélation de Dieu qu’il faudrait partir pour comprendre l’enjeu de l’image en islam. L’épiphanie du Dieu de l’islam est une révélation à distance, car Dieu ne se révèle pas, il se révèle par une Parole. Contrairement à l’Incarnation chrétienne comme représentation de Dieu en Christ qui fonde un « croire » qui passe par le « voir », et donc par l’image , la foi en islam s’effectue plutôt par l’audition (as-sam‘e) et par la lecture (al-qirâ’a, d’où le nom qur’âne, Coran).
L’islam, comme le judaïsme puis le protestantisme par la suite, reste théologiquement aniconique. Disons ici qu’en terme herméneutique l’image reste univoque dans la mesure où elle ne donne pas le même recul que permet une parole ou un texte. Pour être plus univoque que le Texte, l’image fut écartée moins par une interdiction prescriptive que préventive.
L’image donne de l’émotion ; la parole permet plus de méditation ; l’écrit lui, propose l’interprétation.

Nous voyons bien aujourd’hui l’usage qu’en fait la télévision. Une fois l’image même combinée à la parole elle finit par imposer sa logique émotionnelle, même si la parole qui l’accompagne est plus nuancée et plus rationnelle. On voit plus l’image qu’on entend son commentaire, comme si la vision suspendait l’audition. C’est à ce titre que l’herméneutique de l’image est plus difficile que celle du Texte.
Il est vrai que l’image a constitué une controverse en islam, mais sans jamais atteindre le conflit et la violence de l’iconoclasme chrétien, vécus pendant la période chrétienne du premier (730-787) et du second iconoclasme (813-843), que l’on qualifie parfois d’inspiration et d’impulsion musulmane, mais sans en être vraiment certain. La troisième vague est venue au XVIe siècle avec le protestantisme.
La Représentation de Dieu étant écartée, le débat sur l’image en islam ne relève pas de la dogmatique mais de l’éthique, plus précisément de ce fameux principe de précaution (saddu adharâ’i‘e) déjà évoqué. Il n’y a dans le Coran aucune mention à l’interdiction des images. C’est dans la Tradition du Prophète que l’on trouve un ensemble de Textes qui interdisent les représentations des êtres vivants en général. Cette interdiction a fait l’objet d’interprétations. Certains commentateurs ont limité cette interdiction aux sculptures et non pas aux dessins, à des images qui ont des formes ; d’autres ont permis la sculpture d’une partie seulement de l’être vivant et pas sa totalité. Il faudrait souligner que cette interdiction de la sculpture s’explique par le contexte idolâtre du moment coranique ou les statues avaient pour fonction essentielle de représenter des divinités. Certains hadith (paroles du Prophète) justifient l’interdiction par le fait de vouloir imiter Dieu dans le sens de vouloir l’égaler dans sa création, ce qui serait une sorte de défi lancé à Dieu Lui-même. Ce qui ferait sortir ce comportement du registre de l’éthique à celui du théologique et du dogmatique, comme une non conformité plus à l’orthodoxie qu’à l’orthopraxie. Vouloir être au même niveau que Dieu lui-même en prétendant être capable de créer aussi mais une création factice, dont il manque l’âme qui fait la vie de ces œuvres, est la raison essentielle de cette interdiction. C’est pour ce motif que le hadith ( parole) du Prophète explique que le Jour du Jugement dernier Dieu demandera à ces sculpteurs d’insuffler l’âme dans ce qu’ils ont sculpté pendant leur vivant et ils ne pourront le faire . C’est aussi pour cette raison que certains ont permis de se limiter à sculpter le buste, c’est à dire une partie du corps qui ne peut être vivante d’une manière autonome dans la réalité.

Mais dans l’histoire, nous trouvons que les musulmans n’ont pas fait de ces interdictions, qu’elles soient d’ordre dogmatique ou éthique, un vrai problème. On a même vu des savants parmi les plus orthodoxes, faire des sculptures, un Qarafî (m.1285), savant et canoniste malikite, a lui-même reconnu avoir sculpté en cire, un lion dont les yeux changeaient de couleur chaque heure, et un homme montant le chandelier au moment de la première prière de la journée dans l’attitude d’un muezzin, faisant l’appel. Lui-même comptait imiter un artisan qui, avant lui avait sculpté un homme en miniature, qui dès le fajr ( la première prière canonique de l’Aube) se manifestait et prononçait, par voix artificielle, une salutation pour réveiller le sultan Ayoubite de l’époque – XIIIe siècle. Mais il n’avait pu lui donner la voix, comme cet artisan du sultan. Donc ce type de sculpture se pratiquait sans faire de scandales. Bien sûr dès qu’on veut représenter le Prophète, cela devient plus sensible, justement pour une raison préventive, mais surtout émotive. Mais en général l’islam, comme d’autres Tradition, reste rétif aux représentations dites sacrés et très hostile au fétichisme car il conduit à l’idolâtrie.

Collectif publié à Harmattan dont le titre est : CENSURE ET LIBERTÉS : ATTEINTE OU PROTECTION ?
Colloque organisé en partenariat avec le centre de recherche Droits et sociétés religieuses (D.S.R) et L’Observatoire de la liberté de création 26-27 mars 2010- Sous la direction de Nathalie GOEDERT p.23-38.

Tareq Oubrou

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