[…] En revanche, ce qui est le plus répandu, notamment dans le monde virtuel, c’est un contenu religieux faussement savant d’une apologétique qui frise intellectuellement le ridicule. Mais comme la technique et le style communicationnels de sa parénétique[1] sont très sophistiqués, ils en deviennent d’une terrible efficacité. L’effet constaté est double et antagoniste : celui d’une schizophrénie et d’une aliénation.
La schizophrénie que nous évoquons prend la forme d’une fierté exagérée d’appartenir à un islam identitaire, résistant, contestataire, dont les valeurs sont inflexibles et sans concessions, tout en étant soi-même non pratiquant, laxiste au niveau cultuel et moral, voire délinquant.
L’aliénation, elle, est à l’opposé de la schizophrénie. Elle se traduit par un sentiment de culpabilité handicapant. Les injonctions moralisatrices proférées par certains imams rencontrent des disjonctions personnelles qui augmentent la division intérieure[2] dont souffrent un certain nombre de croyants.
L’effet de ces discours est comme une vraie « possession » qui s’empare des esprits et les paralyse. C’est la plus redoutable des possessions, car elle opère via des pensées « insufflées » par des religieux qui séparent le croyant de son être, des autres et de son dieu. On assiste là au contraire même du sens de la religion, dont l’objectif est d’unir et non de séparer.
À ce niveau du divorce avec le divin, Satan n’espérait pas mieux. Il s’est même éclipsé pour laisser place à ces « religieux » plus efficaces en matière d’égarement ! Ceux-ci font au nom de la religion et de Dieu ce que le diable ne peut faire avec la même crédibilité.
Profitant du gisement spirituel émotionnel à vif des musulmans, certains moralisateurs renforcent une certaine culture lacrymale qui fait leur fortune. Il suffit de remuer la sensibilité des croyants pour que le volume de larmes écoulé devienne un critère de performance et de renommée chez certains prédicateurs. Beaucoup de larmes pieuses sont versées dans les mosquées, souvent les mêmes que celles qui coulent devant des films bas de gamme. Mais très vite, celles-ci se transforment en larmes de souffrance et d’anxiété existentielles, une fois au contact de la réalité.
On assiste ainsi à des discours religieux directement issus de la société du spectacle et de la consommation, parfaitement adaptés à la logique marchande de l’audimat et de la rentabilité économique, donnant même lieu à des produits dérivés. Ces discours d’impostures se répandent chez les crédules, séduits par leur forme soignée, sans se soucier du fond, l’ère de l’émotion oblige. Le point commun de ces discours est le conformisme tant l’essentiel est d’être dans la tendance. Comme une feuille morte, ils sont emportés par l’air du temps. Leurs auteurs transforment psychologiquement la fiction, qui est un mensonge vendeur, en une conviction forte pour mieux jouer leur rôle. Ils inspirent le fanatisme sans être forcément eux-mêmes fanatiques.
Le plus dangereux pour la sécurité et la paix civile, ce sont donc ces discours religieux qui relèvent d’une vraie manipulation mentale. Qui proposent des fortes doses d’excitants et font tomber les croyants les plus fragiles dans la violence. De l’écoulement des larmes de contrition, on bascule très vite à l’extrême opposé, celui de l’écoulement du sang criminel. Quels gâchis humains !
D’autres discours sont, eux, purement médiocres. Ni contenu, ni style, ni forme, ni éloquence. Ceux qui les tiennent semblent laisser penser qu’eux-mêmes n’en sont pas convaincus. Leurs acteurs se révèlent de mauvais comédiens. Ils frôlent le délire et dégoûtent les fidèles jusqu’à leur couper l’envie de fréquenter les mosquées, alors que c’est le seul moyen qui leur reste pour sauver leur foi. Beaucoup de jeunes me demandent ainsi des dérogations pour ne plus assister à la grande prière[3] obligatoire du vendredi de certaines villes, tant le discours du prédicateur leur procure une vraie souffrance. Nombreux y ont même laissé leur foi.
En général, tous ces discours ont des points communs : ils sont paternalistes, infantilisants, tutélaires, voire curatélaires[4]. Hypnotiques, ils ne donnent aucun espoir d’un soupçon d’éveil personnel et empêchent les individus de se diriger vers la voie de l’autonomisation et de la responsabilisation. Le « je » disparaît dans un « nous » commode. Un vrai panurgisme. Ce sont ces mêmes discours qui offrent une visibilité et augmentent la méfiance de la société française à l’égard de l’islam et des musulmans.[…]
Il y a bien évidemment à côté de tous ceux-là des hommes intègres et éclairés avec un contenu religieux, sérieux, intéressant et courageux. Mais il n’est pas facile pour le commun des mortels d’en être avisé intellectuellement, d’être capable de séparer le bon grain de l’ivraie[5]. […]
1. Vient de la parénèse qui est l’exhortation religieuse et le discours moral.
2. Division en plusieurs personnalités.
3. Qui consiste à écouter le prêche du prédicateur avant de communier avec Dieu par une prière.
4. En prenant les musulmans pour des handicapés mentaux.
5. Voir parabole de l’Évangile : Matthieu (13, 30).
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon 2019 – p207 à 211