Cet avantage que constitue l’accès démocratique au texte dans le monde musulman est devenu aujourd’hui un inconvénient, ouvrant la voie à un accès sauvage, voire barbare. Chez certains, le degré d’ignorance a atteint un niveau tel qu’ils pensent qu’il suffit de lire le Coran pour le comprendre, et qu’il suffit de le comprendre pour le mettre en application, en négligeant le contexte où ils se trouvent et en faisant montre d’une intolérance parfois effrayante. On retrouve dans le Coran des enseignements et des passages tirés des Écritures et traduits en arabe. Le Coran, évoquant de précédents versets, dit : « Ceci se trouvait [déjà] dans les Premières Écritures, dans les écrits de Moïse et ceux d’Abraham[1]. »
Le Coran s’inscrit donc dans ce prolongement monothéiste, mais clôt en même temps le cycle des révélations[2]. Certains y voient un signe d’intolérance. Or on pourrait adresser le même reproche aux autres religions, qui ne reconnaissent pas Mahomet comme Prophète. Pour les chrétiens aussi, Jésus a clôturé l’avènement de Dieu dans l’histoire des hommes. Et les juifs, de leur côté, ne reconnaissent pas Jésus comme le Messie. Cette question de la vérité et de la clôture de la révélation n’a rien à voir avec l’intolérance, comme nous le verrons au chapitre « La liberté de conscience, ou le droit de changer de religion ».
La clôture de la révélation coranique ne signifie pas que Dieu n’a plus rien à dire. Le silence de Dieu n’est qu’apparent. Peut- être suffirait- il d’évacuer les bruits intérieurs pour entendre sa « voix », cette voix qui se déploie à travers des signes dans les horizons et en nous- mêmes, comme l’indique le Coran [3]. Ainsi, à côté du Livre révélé, deux autres livres sont disponibles : le livre étalé (l’univers) et le livre intérieur (la raison). Muhammad al- Ghazâlî [4] disait, pour résumer la relation entre la transcendance et l’immanence, que la révélation de Dieu est une raison de l’extérieur, et la raison humaine une révélation de Dieu de l’intérieur. Kant n’était pas loin de penser la même chose.
1. Coran (87:17-18).
2. Le verset est rapporté selon deux variantes (qirâ’ât). L’une parle de « sceau des prophètes » (khâtam an- nabiyyîn), l’autre stipule qu’il s’agit du « dernier des prophètes » (khâtima an- nabiyyîn). Aussi le Prophète a- t-il dit : « Point de prophète après moi » (Bukhârî, hadith n° 4416).
3. Coran (51:21).
4. D’origine persane, Mohammed Al- Ghazâlî, théologien, philosophe et juriste soufi, est connu chez les Latins sous le nom d’Algazel. L’influence de sa pensée s’étendit au- delà du monde islamique, jusque sur les pensées européennes juive et chrétienne.
Ce que vous ne savez pas sur l’islam – Tareq Oubrou – Edition Fayard 2016 – P36-38