jeudi, novembre 21 2024

Ce chapitre pourrait être intitulé : « Le mensonge n’est pas compatible avec la foi. » Il n’est même pas compatible avec la dignité de l’homme. Tout le monde sait qu’il est laid de mentir. L’homme fier, digne, qui tient à son honneur, ne ment pas. Voici pourquoi ce chapitre est peut-être le plus difficile pour moi : je ne me sens pas totalement en conformité avec tout ce que je vais y aborder.Mais peut-être faut-il dire même la vérité contre soi-même, comme le demande le Coran : « Ô vous qui avez la foi, observez strictement la justice et soyez témoins véridiques, comme Dieu le demande, fût-ce contre vous-mêmes, vos parents ou vos proches[1]. »Les choses doivent donc être dites, même si cela n’est pas toujours plaisant pour nous. La véracité procure confiance. Elle doit aussi et surtout être une parole de réconciliation. D’où les questions de la vérité qui peut diviser et du mensonge qui peut être, au contraire, réconciliateur : sont-ils moraux ? C’est ce que nous verrons.

Mensonge/méfiance, deux faces d’une même pièce

En effet, la foi vient de fides, qui veut dire « confiance ». Elle est par essence antinomique à une méfiance qui verrait le mal partout. La foi n’est pas un sentiment béat, débile et honteux. Elle suppose le doute, et la vérification de l’information, de quelque nature qu’elle soit.L’homme, étant un animal qui parle, est un animal qui ment, donc qui provoque la méfiance.

Le mensonge et la méfiance sont alors deux faces d’une même pièce. Connu pour sa sagesse, Iyas ibn Muawiya (666-740) disait : « J’ai examiné les vertus des hommes, je n’ai pas trouvé d’équivalent à la véridicité – ou véracité –, et celui qui perd cette qualité subira ses conséquences[2]. »J’aime toujours rappeler cette sagesse à mon entourage : « Si vous êtes obligé, par accident et sous l’effet de la tentation et de la faiblesse, de creuser un piège pour autrui, ne le faites pas trop profond et aménagez-le un peu, car il se peut que vous y tombiez.» Nous sommes souvent la première victime de nos mensonges et de nos méfiances. À travers ma petite expérience de vie, je n’ai jamais vu une intelligence aussi salvatrice que l’innocence et l’authenticité. Les gens innocents sont des gens heureux.

Tout ce qui est faux est éphémère. Faire le mal, c’est se faire du mal. C’est presque une certitude. Et il n’est pas obligatoire d’être menteur pour connaître le mensonge. Iyas, juge affûté, disait aussi : « Je ne suis pas fourbe, mais le fourbe ne m’aura pas[3]. »Les sages soufis demandaient à leurs disciples qui cherchaient la voix de la droiture de ne pas s’en détourner et de ne pas tenir rigueur des vices et des faiblesses des autres, même s’ils savaient qu’ils ne disaient pas la vérité : « Celui qui nous trompe en prétextant qu’il fait les choses pour l’amour de Dieu, nous faisons semblant d’être trompés [4]», affirmaient-ils.Faire semblant de ne pas voir le vice, mais le noter et continuer sa quête de rectitude.

Voici une « sage ignorance » qui ne prend pas les autres trop au sérieux. Cela permet aussi d’éviter de parler de ce qui est mal chez les autres, car ce serait leur faire de la publicité et banaliser celui-ci.Être vrai, cela s’appelle l’intelligence de la foi. Une crédulité qui stimule cependant l’esprit critique. La foi est une confiance exigeante.

Généralement, celui qui ment aux autres pense que tout le monde fait de même. Le menteur n’accorde confiance à personne, car lui-même est faux.On raconte souvent cette histoire : un étranger est venu s’installer dans un village. Il demande au sage de celui-ci : « Comment sont les gens ici ? » Et le sage lui répond : « Et toi, comment as-tu laissé les tiens ? – Ils sont tous vicieux », répondit-il. Et le sage de lui dire que les gens de ce village sont pareils. Et l’homme s’en alla. Après quelque temps, un autre étranger est venu s’installer dans le village. Il demande au sage : « Comment sont les gens d’ici ? » Et le sage déclara : « Et toi, comment as-tu laissé les tiens ? » « Ils sont vertueux », lui répondit-il. Et le sage de lui dire : « Alors, ils sont comme les gens d’ici. » Et l’homme s’installa.Le sage voulait pour son village des gens optimistes. Il avait remarqué que les deux étrangers se décrivaient eux-mêmes à travers ce qu’ils rapportaient des habitants de leur lieu d’origine.


1. Coran (4, 135).

2. Ibn-Asâkir, Târîkh Dimachq, Dâr al-Fikr, Beyrouth, 1995, t. X, p. 19-20.

3. Ibid.

4. Cette parole est d’Abdullah ibn Omar, compagnon du Prophète, in Hilyatu al-awliyya’e d’Ahmed Al-Asbahânî, Dâr al- Kitab al-Arabi, 1985, t. I, bio. no 44, p. 293.


Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon – p189 à 192

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