samedi, novembre 23 2024

Ghazâlî est le théologien du doute méthodologique, nous l’avons vu. Il reconnaît, comme le reste des théologiens, notamment de son obédience ascharite, que l’humanité ne peut accéder à la vérité de Dieu que par la médiation d’un prophète. La prophétie à son tour doit être approuvée par la raison.Dans sa lettre « La Distinction décisive » (Faysal at-tafriqa), il a mis en garde contre la facilité qu’ont certains savants musulmans à excommunier ceux qui n’ont pas la même doctrine théologique qu’eux et qui considèrent avec légèreté comme kâfir celui qui n’est pas de leur tendance.

Il a essayé de proposer une vision théologique tolérante et ouverte. Il a considéré que les Turcs païens, les chrétiens et les autres peuples n’étaient pas concernés par le qualificatif mécréant (kâfir) n’étant pas informés sur la vérité de Mahomet.

C’est la première fois qu’un théologien musulman avançait cette analyse avec assurance et explicitation concernant des non-musulmans de son époque. Nous avons vu l’avis de Soyuti, mais celui-ci concernait surtout les non-croyants de la période d’avant l’islam. Ghazâlî a souligné aussi que très rares [1] seront les gens voués perpétuellement à l’Enfer. C’est sa deuxième grande avancée théologique. Nous regrettons seulement qu’il n’aille pas jusqu’au bout de son raisonnement.

Il a considéré que les minorités non musulmanes qui vivaient parmi les musulmans avaient l’obligation de croire dans les paroles du Prophète, puisqu’elles avaient désormais toutes les informations sur lui et sur sa religion.Or nous trouvons cet argument insuffisant. Car, premièrement, les musulmans ne sont pas des prophètes dotés de miracles ; deuxièmement, il n’est pas du tout établi que ces non-musulmans soient bien informés. De plus, être informé est une chose, être convaincu par les arguments en est une autre, la conversion n’étant pas toujours le fruit d’un raisonnement rationnel. En somme, nous nous démarquerons de Ghazâlî sur deux points, malgré son envergure et son ouverture :

– Pour nous, le mécréant est celui qui ne croit pas dans les paroles du Prophète de son vivant. Ce n’est pas celui qui ne croit pas dans les paroles de musulmans quand ils exposent l’islam, surtout quand ces musulmans ne sont pas dignes de confiance et ne sont pas crédibles ni intellectuellement ni moralement…C’est ce que nous reverrons dans le chapitre sur le prosélytisme.

– Pour nous, l’Enfer n’est pas perpétuel, même pour le plus mécréant des hommes, comme nous allons le voir.

1. Abu-Hamid Al-Ghazâlî, Majmû’atu ar-rasâ’il, épître 9 : Faysalu at-tafriqa, Al-Maktabat al-Tawqîfiyya, Le Caire, [s. d.], p. 271-273.

Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon 2019 – p177 à 178

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