La théologie musulmane, elle, paraît plus clairement dualiste. C’est aussi ce que laisse entendre celle de Thomas d’Aquin quand il parle de la production de l’âme humaine par Dieu dans l’être par création[1]. Ce qui supposerait une discontinuité entre l’âme et le corps, et qu’elle n’est pas intrinsèquement embryogénique.
Il réfute la transmission de l’âme par la semence[2]. Cette vision rejoint celle de l’islam, mais il n’en tire pas la réfutation de la transmission du péché originel. En effet, il considère que si l’âme ne transmet pas le péché, c’est par la semence qu’il est introduit[3].La vision dualiste musulmane, elle, est plus nette, n’évoquant aucune impureté de la semence, cet élément génétique. Elle est évoquée par un hadith du Prophète, qui dit que l’ange, lui, vient déposer l’âme au cent vingtième jour de la conception[4]. Ce qui veut dire qu’il y a une continuité biologique entre les parents et les enfants, mais une discontinuité métaphysique spirituelle[5].
L’âme déposée par l’ange est donc asexuée. Cette ontogénèse implique deux choses : d’une part, l’égalité morale entre les hommes et les femmes, puisque les âmes n’ont pas de sexe, ce qui sera confirmé par le récit de la genèse dans le Coran, comme nous le verrons ci-après ; et d’autre part que chacun porte son propre fardeau, puisqu’il n’y a pas de transmigration des âmes des parents aux enfants[6].
Tout enfant naît innocent, sans péché. C’est pourquoi je pourrais avancer qu’il y a en islam une « Immaculée Conception universelle » qui profite à chaque être humain.
1. Thomas d’Aquin, Somme contre les gentils, Livre II, La Création, chap. 87 : « L’âme humaine est produite par Dieu dans l’être par création », traduction Cyrille Michon, Flammarion, 1999, p. 362.
2. Ibid.
3. « L’impureté de la semence humaine – dit-il – transmet une certaine impureté à l’homme conçu par cette semence. Et il faut l’entendre comme l’impureté du péché… Ainsi, il y a un certain péché auquel l’homme est lié depuis son origine même : on l’appelle péché originel. » (Thomas d’Aquin, Somme contre les gentils, Livre IV, La Révélation, traduction par Denis Moreau, Flammarion, 1999, p. 263-264.)
4. « La conception de chacun d’entre vous, dans le ventre de sa mère, s’accomplit en quarante jours ; d’abord sous la forme d’une semence (notfa), puis sous celle d’“alaqa” (adhérence) pour une même période, puis sous celle de “mudgha” (morceau de chair mâché) pour une même période. Enfin, un ange lui est envoyé, il y insuffle l’âme […] » (Bukhârî et Muslim via Abdullah ibn Masoud, Al-jam’e baïn assahîhaïn, Maktabat al-Maarif, Riyad, première édition,1998, t. II, no 2286, p. 239.)
5. L’homme est constitué d’un corps, d’une âme et d’un esprit, selon le christianisme qui distingue cependant ces deux dernières dimensions. Dans l’islam, la difficulté se trouve dans la distinction entre deux notions coraniques rûh et nafs. D’aucuns considérant la première comme le souffle (pneuma) déposé par l’ange pendant la conception, et la seconde comme une matière transformée à travers le souffle par le corps et l’éducation. Les deux sont le siège de la vie végétative, émotionnelle, psychologique, intellectuelle et spirituelle. Pour les mystiques, toute la démarche consiste à réconcilier la nafs avec le rûh, c’est-à-dire une éducation morale spirituelle qui vise à retourner à l’innocence originelle dont le siège est âme (rûh) virginale. Tout ceci n’est que spéculations qui ne lèvent pas tous les mystères de ces notions. « Ils t’interrogent au sujet de l’âme (rûh). Dis : L’âme relève d’un ordre de mon Seigneur. Et il ne vous a été donné que peu de science », répond le Coran sans lever son mystère. Coran (17, 85).
6. « Or personne ne portera le fardeau d’autrui, Et si une âme surchargée – de fautes – appelle à l’aide, rien de sa charge ne sera supporté par une autre, même par un proche parent […] », Coran(35, 18).
Appel à la réconciliation : Foi musulmane et valeurs de la République française – Tareq Oubrou – Édition Tribune Libre Plon 2019 – p139 à 141