La vision linéaire, voire déterministe, de l’Histoire et évolutionniste de la Nature que nous venons sommairement d’évoquer est au fondement de la condition moderne présente. Elle règne sans partage sur les mentalités et sur notre mode de penser. Cette vision du monde forgée au dix-neuvième siècle a continué le long du vingtième siècle et reste dominante dans ce début du vingtième siècle, de manière encore plus accélérée. Ce paradigme du progrès et de l’évolution n’a épargné aucun domaine y compris celui de la machine, où l’on pense fabriquer, selon le concept de la robotique évolutionniste, des robots capables d’évoluer d’eux-mêmes en fonction de l’environnement qui en sélectionnerait les plus aptes, et donc seraient capables d’opter des mutations informatiques électroniques à l’instar des mutations génétiques qui permettent selon le néodarwinisme de faire évoluer une espèce. Une autre réalité se dessine, aux contours flous. Elle brouille totalement les catégories les plus fondamentales, l’animé et l’inanimé, l’humain, l’animal et la chose, la vie et la mort. Nous sommes déjà dans l’ère de la « machination » de l’Homme, en y intégrant des pièces mécaniques et composantes électroniques (puces) pour augmenter sa puissance, et de la « biologisation » de la machine, en y intégrant des éléments et des unités biologiques, des organites cellulaires, pour la rendre plus « vivante ».
L’humanité serait bientôt confrontée à une véritable angoisse face à cet effondrement des repères identificatoires. Et si l’on croit Heidegger qui disait que la technique a le projet d’arraisonner le monde, alors plus que jamais le pouvoir de domination n’est présent qu’aujourd’hui, mais on lui donnera toujours un contenu scientifique pour le faire accepter. À ce niveau d’évolution exponentielle des techno sciences, un point attire-t-il notre attention particulière, celui de la relation Etat-Science. Théoriquement l’État est neutre par rapport à la religion, le mythe… L’État et l’idéologie, l’État et l’Église, l’État et le mythe sont, en principe, soigneusement séparés. Or il n’existe pas encore de séparation entre l’État et la Science, car jusqu’à présent on estime que les théories de la science donnent une image du monde plus juste que les autres idées (religieuses, mythologiques, magiques…). La parole des scientifiques est déterminante, elle a remplacé celle de l’Église, sur les questions d’éthique et sur les produits technoscientifiques qui impliquent le devenir de toute la société. En beaucoup de domaines les scientifiques sont presque les seuls qui influent les décisions de l’État, mais souvent ils sont également instrumentalisés par celui-ci. Séparer la Science de l’État, comme le prône Paul Feyerabend, placerait la communauté des scientifiques au même niveau que les autres groupes de la société. Ce qui constituerait un contrepoids aux avis, choix ou décisions scientifiques qui ne sont pas, non plus, à l’abri des idéologies, des croyances, des mythes et surtout de l’influence des industriels qui se plient aux seules exigences de l’« économicisme ». Cet extrémisme économique qui profite de la mondialisation impose une recherche scientifique appliquée, appliquée bien à des intérêts financiers, au mépris la recherche fondamentale que l’État aujourd’hui est incapable de financer convenablement afin d’établir un équilibre par rapport aux pressions idéologiques et économiques dans l’orientation des recherches.
– Stephen Jay Gould, Darwin et les grandes énigmes de la vie, p24.1957. Edition Pygmalion/Gérard Watelet, pour la traduction française (collection point Science)
– Jacques Ruffié, de la biologie à la culture, p.46. Flammarion. 1976
– Comme la démontré K. Lôwith dans le livre histoire et salut, sous titré par les présupposés théologiques de la philosophie de l’histoire. Ce livre constitue en quelque sorte l’application du « théorème de la sécularisation » énoncé par Karl Schmitt.
– Voir l’article de jean Arcady Meyer, Agnés Guillot.
– Robotique évolutionniste. POUR LA SCIENCE n°284 Juin 2001.
– Paul Feyerabend. Contre la méthode. Chapitre 19. 1979, Edition du Seuil, pour la traduction française
– Voir le chapitre -11, les mêmes, nouveaux réplicateurs (in Richard Dawkins. Le gène égoïste) Ils sont l’équivalent des gènes, au niveau de la culture. Les gènes sont transmis biologiquement, les mèmes culturellement. Les deux sont en liens, et il y a possibilité d’action des mèmes sur la modification des gènes.
– Philippe Liotard, Le corps humanimal de mutant asexués,
– p.40, article in Science de l’homme et société, n°73, Décembre 2004 Janvier 2005.
– Mais ou sont passé les genres ? de Nancy Midol in op. cit.
– Friedrich Wilhelm Schelling. Introduction à la philosophie de la mythologie. 1998. Gallimard
– Fabio Lorenzi-Cioldi. Individus dominants et groupes dominés, images masculines et féminines. 1988. Presse universitaire de Grenoble.
– John Rawls. Théorie de la justice. P. 132 -133, Edition Seuil (Collection Point).
– Doreen Kimura, Cerveau d’homme, cerveau de femme ? p.14. 2001. Edition Odile Jacob
– P.Bourdieu. La domination masculine. P.98. 2000. Seuil. Ibid.p 100.
– Sylviane Agacinski. Politique des sexes, précédée de mise au point sur la mixité. P. 116. Seuil. 2001.
– Pierre Bourdieu. Op. cit. p. 123.
– Yves Christen, L’égalité des sexes (L’un n’est pas l’autre), p.123. 1987. Edition du Rocher.
L’égalitarisme féministe et l’évolution. Entre le progrès et le déclin, en l’absence d’une philosophie des limites.
Tareq Oubrou, revue Actualis, Islam et société, n°4- 2005